Le Maroc a enregistré en 2024 une nette accélération de l’investissement, confirmant une dynamique enclenchée depuis la mi-2023. Selon la dernière note d’information du Haut-commissariat au Plan (HCP), la Formation brute de capital fixe (FBCF) a atteint 422,5 milliards de dirhams, en hausse de 13,9% par rapport à 2023.
Cette progression est portée principalement par les sociétés financières et non financières, publiques et privées, dont la contribution à la FBCF nationale s’est élevée à 59,2%. Les investissements de ces acteurs ont bondi de près de 20% sur un an, traduisant un regain d’activité significatif après plusieurs années de chocs successifs.
Les perspectives à moyen terme demeurent favorables. D’après le HCP, l’investissement brut devrait poursuivre sa trajectoire ascendante en 2025 (+9,8%) et en 2026 (+7,2%). Cette dynamique serait soutenue par la mise à niveau des infrastructures, la mise en œuvre de la nouvelle Charte de l’investissement et l’amélioration des conditions de financement, portant le taux d’investissement à plus de 31% du PIB à l’horizon 2026.
Cette montée en puissance de l’investissement s’accompagne d’un renforcement notable du financement bancaire. Les crédits à l’équipement ont atteint 242,6 milliards de dirhams en 2024, en progression de 18%, selon Bank Al-Maghrib, bénéficiant principalement au secteur tertiaire, en particulier la finance, mais aussi à l’électricité, au gaz, à l’eau, au BTP et aux industries extractives.
Effet des grands projets publics
Pour l’économiste Mohammed Jadri, cette forte progression s’explique avant tout par un effet de rattrapage. Après plusieurs années marquées par la pandémie, la sécheresse, l’inflation importée et les tensions géopolitiques, de nombreux projets avaient été différés, avant d’être relancés en 2024.
À cela s’ajoute une accélération de l’investissement public, qui représente près des deux tiers de l’investissement total et demeure le principal moteur de la dynamique actuelle. Cette impulsion publique a joué un rôle central dans la reprise observée, souligne-t-il.
L’organisation de la Coupe d’Afrique des nations 2025 et la co-organisation de la Coupe du monde 2030 ont également constitué des catalyseurs majeurs, ajoute-t-il. Ces échéances, explique l’économiste, ont entraîné une mobilisation massive de capitaux dans les infrastructures sportives, les transports, la logistique, l’énergie, l’urbanisme et le tourisme, avec des calendriers resserrés qui ont concentré les investissements dès 2024.
Cette dynamique, poursuit-il, a eu un effet d’entraînement direct sur l’investissement des sociétés, notamment les grandes entreprises du BTP, de l’ingénierie et des services, fortement dépendantes de la commande publique.
Toutefois, Mohammed Jadri souligne que cette hausse reflète davantage une dynamique adossée à l’investissement public qu’une généralisation de l’investissement productif privé, les TPE et PME restant largement en retrait.
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Malgré ce niveau soutenu, le HCP met en évidence un décalage persistant entre l’effort d’investissement et la croissance économique. Sur les deux dernières décennies, le Maroc affiche un taux de FBCF comparable à celui des pays à revenu intermédiaire, mais son rendement demeure faible.
L’indicateur ICOR (incremental capital output ratio), qui mesure le rendement de l’investissement, illustre cette faiblesse. Entre 2010 et 2023, ce ratio s’est établi à 11,8 au Maroc, contre environ 5 pour les pays à revenu intermédiaire inférieur et 6,3 pour ceux de la tranche supérieure. Concrètement, actuellement au Maroc, il faut mobiliser environ 10% du PIB d’investissement pour générer un point de croissance économique.
Cette inefficacité se reflète dans la contribution de la FBCF à la croissance: 1,7 point en moyenne entre 2000 et 2009, puis seulement 0,9 point entre 2010 et 2019. Une amélioration relative est observée entre 2021 et 2024, avec une contribution de 1,2 point.
Pour Mohammed Jadri, cette situation s’explique par des inefficiences structurelles persistantes. Une large part de l’investissement est orientée vers des projets intensifs en capital, notamment ceux liés aux infrastructures et aux grands événements sportifs comme la CAN 2025 et le Mondial 2030, souvent guidés par des impératifs de délais plutôt que par une logique de rentabilité économique et sociale à long terme.
Impact limité sur l’emploi
La faiblesse du rendement de l’investissement se traduit également sur le marché du travail. Le contenu en emploi de la croissance s’est progressivement réduit, passant d’environ 30.000 emplois créés par point de croissance dans les années 2000 à près de 20.000 durant la décennie suivante.
Entre 2021 et 2024, les créations nettes d’emplois n’ont pas permis de compenser les pertes enregistrées en 2020. Entre 2023 et 2024, le chômage a augmenté de 4%, avec 58.000 chômeurs supplémentaires, portant le nombre total de personnes sans emploi à 1,638 million et le taux de chômage à 13,3%.
À moyen terme, l’économiste anticipe un soutien modéré à la croissance et un impact limité sur l’emploi, en raison du caractère capitalistique des investissements actuels et de l’exclusion relative des TPE et PME de la commande publique.
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Toutefois, relève Mohammed Jadri, cette dynamique s’inscrit dans la vision économique du Maroc à l’horizon 2035, qui vise à renforcer l’attractivité du Royaume, améliorer la connectivité territoriale et positionner le Maroc comme un hub régional africain et euro-méditerranéen.
Dans cette perspective, estime-t-il, la CAN 2025 et le Mondial 2030 peuvent jouer un rôle d’accélérateurs d’investissements structurants, susceptibles d’améliorer la compétitivité à long terme, notamment dans la logistique, le tourisme et l’image internationale du pays.
Néanmoins, souligne-t-il, pour que cette reprise de l’investissement se traduise par une croissance durable, inclusive et créatrice d’emplois, elle devra impérativement s’accompagner de réformes profondes: amélioration de la gouvernance de l’investissement public, réduction de l’ICOR, ouverture effective de la commande publique aux TPE et PME, et recentrage de l’investissement vers des secteurs à forte valeur ajoutée, innovation et capital humain.








