Comme tous les secteurs fortement intégrés dans les chaînes de valeurs mondiales, l’industrie automobile au Maroc a été l’une des premières branches d’activité à subir le contrecoup de la crise sanitaire. Les perturbations des chaînes de production et la mise en veille de la production au plus fort de la période de confinement, couplées à l’effondrement de la demande mondiale, a plongé cette branche de du secteur secondaire dans une crise sans précédent.
Au Maroc en effet, l'industrie automobile n’est pas restée à l’abri de ce contexte mouvementé, et ses performances à l’export sont en recul de près de 40% du chiffre d’affaires sur la première moitié de l’année 2020. A première vue, cet état de fait devrait avoir un impact significatif sur les entrées en devises du Royaume, l’industrie automobile au Maroc se classant au premier rang des secteurs exportateurs du pays avec un chiffre d’affaires à l’export de près de 70 milliards de dirhams.
Cependant, l’effet net de cette contraction sur les entrées de devises ne devrait pas être aussi important, selon le think tank Policy Center for the New South (PCNS), qui vient de publier une note d’analyse intitulée «Industrie automobile nationale face à la Covid-19: faut-il se préoccuper de l’impact sur le compte courant?».
Il est vrai que l’industrie automobile nationale subit un choc sévère, comme en témoignent les chiffres disponibles. A fin mai, les exportations du secteur se sont contractées de 40%. En valeur absolue, ce recul est équivalent à 13,9 milliards de dirhams sur les cinq premiers mois de l’année. Si le secteur clôture l’exercice 2020 sur la même contre-performance, le manque à gagner pour le secteur automobile franchirait les 33 milliards de dirhams, soit l’équivalent de 3% du PIB, souligne Abdelaaziz Aït Ali, économiste senior chez PCNS et auteur de cette note conjoncturelle.
Lire aussi : Industrie automobile: les exportations chutent d’un tiers à fin juin
Néanmoins, nuance-t-il, l’effet net de la contre-performance du secteur sur les équilibres externes est à relativiser et pourrait être moins prononcé, pour deux raisons principales.
La première est relative au positionnement du Maroc en haut de la chaîne de production, faisant du pays un importateur de produits intermédiaires, surtout pour les activités d’assemblage. Ainsi, tout ajustement à la baisse du chiffre d’affaires à l’exportation se traduirait par une réduction proportionnelle des intrants importés.
La deuxième raison est liée à la prépondérance du capital étranger dans l’écosystème de l’industrie automobile, qui fait que l’atonie de l’activité à l’exportation ne manquerait pas d’affecter la rentabilité des entreprises et, in fine, leur capacité à rapatrier leurs bénéfices.
Les intrants pèsent pour 58% de la valeur à l’exportPour étayer son propos, l’auteur de cette note rappelle que le secteur automobile est à la tête des secteurs exportateurs les plus dépendants des intrants importés. En effet, plus de 58% de la valeur à l’exportation du secteur automobile comporte en réalité une valeur ajoutée étrangère, soit plus du double des proportions observées dans d'autres secteurs de l’économie. Autrement dit, plus de 58% des exportations du secteur automobile ne sont, en fait, que des produits qui avaient été initialement importés.
«L’implication de ce constat sur la contribution nette du secteur à la rentrée de devises dans ce contexte pandémique est capitale. Sur les 13,9 milliards de dirhams de contraction des recettes à l’exportation recensés sur les 5 premiers mois de l’année 2020, seuls 5,8 milliards sont à retenir effectivement comme un manque à gagner net pour l’économie marocaine en matière de rentrées de devises. Le reste représente en fait des économies d’importations», souligne l’économiste, auteur de cette note.
Moins de bénéfices, moins de rapatriement de dividendesOutre l’ajustement automatique à la baisse des importations, un autre mécanisme devrait contribuer à nuancer l’effet du recul des exportations du secteur sur le compte courant, en l’occurrence le rapatriement de bénéfices.
Lire aussi : Industrie automobile: la DEPF explore de nouveaux gisements de croissance (Etude)
Comme le fait remarquer le PCNS, l’industrie automobile nationale n’a franchi un nouveau cap dans son processus d’évolution qu’avec l’implantation de Renault à partir de 2012, et le positionnement en haut de la chaîne de production. Depuis, l’engouement pour l’investissement dans le secteur s’est de plus en plus manifesté et plusieurs opérateurs internationaux ont préféré s’installer au Maroc pour desservir l’activité de l’assemblage. Cela répondait en effet à la volonté des autorités nationales de densifier les liens en amont du secteur avec le tissu productif national.
Ainsi, observe Abdelaaziz Aït Ali, la prépondérance du capital étranger dans le secteur est évidente, en attendant l’émergence d’une nouvelle classe d’entrepreneurs nationaux capables de s’approprier la connaissance et la technologie et de pénétrer de nouvelles niches dans le secteur automobile.
C’est en fait à travers le vecteur du capital étranger que la technologie et le savoir-faire peuvent être transférés au tissu productif local.
Cependant, le revers de la médaille réside dans le fait que les bénéfices réalisés par ces sociétés étrangères peuvent être en partie ou en totalité rapatriés dans les pays d’origine, aidés en cela par une réglementation des changes qui n’impose aucune restriction dans ce sens. Ces rapatriements de bénéfices représentent «une fuite» de devises équivalente à 1,6% du PIB en moyenne entre 2014 et 2019, et parfois même l’équivalent des entrées nettes des IDE au Maroc.
Sur ce point, précisément, l’économiste rappelle que dès 2014, Bank Al-Maghrib avait attiré l’attention sur le poids des dividendes transférés à l’international et a appelé par la même occasion à une évaluation circonstanciée de l’apport des IDE, particulièrement dans le secteur automobile, au regard des facilités et des incitations mises à leur disposition.
Au final, cette configuration fait que le manque à gagner net pour l’économie marocaine est moins prononcé. «Pour reprendre l’exemple de la contraction des recettes à l’exportation du secteur, évaluées à 13,9 milliards de dirhams, et en soustrayant les intrants importés et le retour sur investissement, le manque à gagner effectif se limiterait aux alentours de 40% du montant initial», estime Abdelaaziz Aït Ali.
Partant de ce constat, l’auteur estime que «cet exercice didactique» met à jour une nouvelle facette de la contribution du secteur automobile à la génération de devises au titre du compte courant.
Il préconise d’ailleurs la nécessité d’intégrer, à l’avenir, «la dimension de la nationalité de l’actionnariat dans le secteur automobile pour une meilleure évaluation des effets d’entraînement effectifs du secteur sur les équilibres externes et l’activité économique de manière générale».