C'était admis dès le début de l'année: le premier budget de la nouvelle équipe gouvernementale est intenable. Aujourd'hui, il est officiellement caduc: l'Exécutif vient de s'accorder, par décret, une rallonge de 16 milliards de dirhams à intégrer dans les charges communes. Une pirouette budgétaire, rendue possible par l'article 60 de loi organique des finances qui stipule qu’«en cas de nécessité impérieuse et imprévue d'intérêt national, des crédits supplémentaires peuvent être ouverts par décret en cours d'année».
Le recours à cette disposition donne plus de flexibilité au gouvernement. «S'il avait fait le choix de passer par une loi de Finances rectificative, le processus aurait été plus long et plus laborieux», nous explique un spécialiste des finances publiques. «Avec le décret sur l'ouverture de crédits supplémentaires, le gouvernement se contente d'informer les commissions parlementaires chargées des finances», ajoute cet interlocuteur.
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C'est ainsi que Faouzi Lekjaâ, ministre délégué au Budget, s'est livré à l'exercice de présentation devant les deux chambres du Parlement. Une occasion pour ce responsable gouvernemental de rappeler les défis budgétaires à relever cette année.
Le gouffre de la compensationAvec la pression subie par les marchés mondiaux de matières premières –sous l'effet de la redynamisation de la demande au lendemain de la crise sanitaire et de la pénurie engendrée par la guerre en Ukraine–, les prévisions de base du gouvernement ont volé en éclats. «Les écarts entre les hypothèses de la loi de Finances et les niveaux de prix actuels de produits subventionnés sont considérables», a admis Lekjaâ devant les élus.
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Rien que pour maintenir inchangé le prix de la bonbonne de gaz, la Caisse de compensation a déjà déboursé, jusqu'à fin mai, plus de 9,7 milliards de dirhams. Cela correspond à 75% du montant initialement estimé par la loi de Finances 2022 (13 MMDH) pour subventionner ce produit. Désormais, l'on s'attend à ce que cette facture double pour dépasser les 21 milliards de dirhams.
La Caisse dirigée par Chafik El Belghiti devrait également faire face à une dépense non attendue de 6,2 milliards de dirhams. Celle-ci est destinée à soutenir le prix du blé importé, censé atténuer les retombées de la campagne céréalière désastreuse. Même pour le sucre, les caisses de l'Etat devraient supporter une facture additionnelle qui frôle le milliard de dirhams. Somme toute, la Caisse de compensation aura besoin de doubler son budget pour dépasser désormais les 32 milliards de dirhams.
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Malgré cette rallonge, le gouvernement promet de maintenir les équilibres budgétaires. «Le niveau de déficit sera maintenu à 5,9% comme prévu dans la loi de Finances 2022», a martelé le ministre délégué au Budget. C'est qu'il compte sur l'évolution des recettes pour couvrir ce montant, représentant 60% des dépenses prévues des charges communes.
Recettes en hausseLes recettes fiscales, les recettes douanières mais aussi les transferts des entreprises et établissements publics ont tous connu une progression significative au cours des cinq premiers mois de l'année. Quelque 19,6 milliards de dirhams ont été encaissés en plus, par rapport à mai 2021. Sauf que cette évolution est déjà intégrée dans les prévisions de la loi de Finances 2022, qui table sur des recettes ordinaires de 253,7 milliards de dirhams, en hausse de 26% par rapport à 2021.
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«Les taux de réalisations de ces recettes n'ont rien d'extraordinaires à fin mai. Ils avoisinent les 45% comme à chaque période de l'année», relève notre expert. «Prétendre couvrir des dépenses extraordinaires par des recettes additionnelles est juste une acrobatie budgétaire basée sur une valeur absolue à un moment donné», s'insurge-t-il.
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D'autant que les dépenses supplémentaires ne se limitent pas aux 16,8 milliards de transferts additionnels à la Caisse de compensation. Il y a également le régime de soutien exceptionnel mis en place au profit des professionnels du transport. Près de 180.000 véhicules de transport de personnes ou de voyageurs ont profité d'une mesure permettant d'atténuer l'effet de l'envolée du prix du carburant à la pompe. Cette facture additionnelle s'élève pour les trois premiers versements à près de 1,5 milliards de dirhams. Et elle risque de s'alourdir, sachant que les prix continuent sur leur trend haussier et que le gouvernement examine déjà d'autres pistes de soutien, dont un retour aux subventions de la Caisse de compensation.
Investissements & endettementEn définitive, les 16 milliards de dirhams obtenus via ce décret risquent d'être la première rallonge de toute une série de réajustements budgétaires, imposée par une conjoncture des plus défavorables. L'Exécutif a d'ailleurs plusieurs cordes à son arc pour tenter d'atténuer la pression sur ses caisses. Il avait pris le soin, dans le cadre de la loi de Finances, de se donner une marge de réduction de 15% sur un budget d'investissement, annoncé pour un record de 245 milliards de dirhams. Un montant qui paraît aujourd'hui compromis, bien que le taux de réalisation des 87 milliards de dirhams d'investissements prévus dans le Budget général est au même niveau que l'année écoulée, soit aux alentours de 37%.
L'année budgétaire est loin d'être finie et ne manquera pas d'apporter un nouveau lot de surprises tant au niveau des dépenses que des recettes. D'autant que les perspectives de croissance sont de plus en plus modérées. Lors de son dernier conseil, Bank Al-Maghrib a revu ses projections pour le taux de croissance à 1%. En revanche, il a revu à la hausse le taux du déficit budgétaire, à 6,3%. En un mot comme en cent: l'Exécutif devra encore s’endetter, bien plus que les 105 milliards de dirhams prévus pour cette année.