Introduits en 2019, les «financements innovants» se sont rapidement imposés comme un instrument clé de mobilisation des ressources pour le Trésor public. Inspiré du mécanisme de lease-back, ce dispositif consiste à céder temporairement des actifs publics – hôpitaux, universités, tribunaux ou bâtiments administratifs – à des investisseurs institutionnels, avant de les reprendre en location de longue durée.
À la clé, une bouffée d’oxygène financière: plus de 109 milliards de dirhams devraient être injectés dans les caisses de l’État d’ici fin 2025, selon les projections du ministère des Finances. Trois institutions se trouvent au cœur de ce montage: la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), la Caisse marocaine des retraites (CMR) et, depuis 2024, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
Une montée en puissance en 2024
Pour porter ces opérations, chacune des institutions impliquées a mis en place un Organisme de placement collectif immobilier (OPCI) dédié, chargé d’absorber les actifs domaniaux. Rien qu’en 2024, 592 bâtiments ont été concernés, générant 35,3 milliards de dirhams, soit un record en progression de 10 milliards par rapport à l’exercice précédent.
Présenté comme une alternative à l’endettement classique, ce mécanisme offre à l’État de nouvelles marges financières tout en maintenant l’usage public des infrastructures. Le ministère des Finances table ainsi sur 35 milliards de dirhams par an en 2025 et 2026, avant un reflux attendu à 25 milliards en 2027.
Entre opportunité et inquiétudes
Si ces montages offrent une importante bouffée d’oxygène budgétaire, ils suscitent de fortes réserves. Le gouverneur de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, alerte régulièrement sur trois risques majeurs: l’ampleur croissante des montants engagés, la transformation des recettes en charges courantes liées au paiement des loyers, et l’éviction du marché obligataire au détriment des bons du Trésor. Il plaide pour un encadrement similaire à celui appliqué aux privatisations.
Jouahri anticipe la baisse des montants
À l’issue de la réunion trimestrielle du Conseil de Bank Al-Maghrib, tenue le 23 septembre à Rabat, le wali a livré de nouvelles précisions. S’adressant à la presse, il a reconnu que ce mécanisme avait permis de faire face à des besoins urgents liés aux crises successives – pandémie, séisme, sécheresses – tout en avertissant qu’il ne saurait constituer une solution durable.
Des recettes admises par le FMI
«Les financements innovants sont considérés comme des recettes, mais pas comme des éléments de financement. Et cela est admis par le FMI conformément à son recueil de données et statistiques», a-t-il expliqué.
«Dans la programmation budgétaire triennale 2026-2028, ce montant devra diminuer», estime-t-il.
Les loyers, nouvelle charge pour l’État
Jouahri a par ailleurs rappelé que les charges de loyers générées par ces opérations devront être intégrées dans les comptes publics. «Les loyers vont commencer à être payés. Si ma mémoire ne me trompe pas, le montant prévu au titre de l’année 2025 est de 7 milliards de dirhams. Ils doivent être inclus dans les charges courantes», a-t-il précisé.
Une privatisation qui ne dit pas son nom?
D’autres voix vont plus loin: pour certains économistes, les financements innovants s’apparentent à une privatisation déguisée, menée en dehors de tout débat parlementaire et entourée d’un manque de transparence quant à la cession d’actifs publics.
En toile de fond, les financements innovants reflètent une tendance mondiale plus large: l’émergence de mécanismes financiers alternatifs pour soutenir le développement, allant du financement basé sur les résultats aux marchés du carbone.
Mais pour les observateurs, une question centrale reste ouverte: ces outils permettront-ils au Maroc de concilier agilité budgétaire et soutenabilité financière, ou feront-ils peser à terme de nouvelles contraintes sur les finances publiques?








