Économie circulaire: où en est le Maroc?

La table ronde organisée par le Groupe SUEZ Maroc, le 25 novembre 2025, sous le thème «Transformer les déchets en ressources: l’économie circulaire, pilier du Maroc industriel durable».

Alors que la COP30, tenue en novembre à Belém, a réaffirmé l’urgence d’une transition industrielle bas-carbone, le Maroc s’inscrit dans cette dynamique et aborde un tournant décisif. Quelques jours après le sommet, le Groupe SUEZ Maroc a réuni industriels, institutionnels et experts afin de débattre de l’économie circulaire comme levier de souveraineté et de compétitivité. Au-delà du recyclage, la rencontre a mis en lumière un enjeu majeur: passer d’initiatives pilotes dispersées à un véritable modèle industriel durable.

Le 01/12/2025 à 09h23

Au lendemain de la COP30, organisée du 10 au 22 novembre au Brésil, une question revient avec insistance: la transformation des déchets en ressources peut-elle devenir un véritable levier de souveraineté industrielle? C’est autour de cet enjeu stratégique que s’est tenue, le 25 novembre, la table ronde du Groupe SUEZ Maroc, placée sous le thème: «Transformer les déchets en ressources: l’économie circulaire, pilier d’un Maroc industriel durable».

La discussion a été ouverte par Doha Lkasmi, directrice générale adjointe d’ESL-Rivington Maroc, diplômée de Sciences Po Paris et de Yale University, qui a assuré la modération avec une démarche méthodique. Parmi les intervenants clés, Abdelatif Maâzouz, président du Conseil de la région Casablanca-Settat, a lancé le débat en rappelant le rôle déterminant des régions dans la transition vers un modèle de développement durable. Il a souligné la nécessité d’adopter une approche territorialisée de l’économie circulaire, considérant les déchets comme des ressources locales capables d’alimenter des écosystèmes industriels régionaux performants.

Sur le volet industriel, Mohamed Bachiri, directeur général de Renault Group Maroc et président de l’Association marocaine pour l’industrie et le commerce automobile (AMICA), a apporté un retour d’expérience concret sur la transformation progressive du secteur automobile grâce aux principes de circularité. Son intervention a été complétée par celle de Mehdi Sahel, directeur général d’Alstom Maroc, qui a souligné que la mobilité durable ne peut être véritablement décarbonée sans intégrer la circularité au cœur des chaînes d’approvisionnement.

Sur ce même registre, Mehdi Tazi, vice-président général de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), a apporté une vision économique d’ensemble, tandis que Mohamed Oulkhouir, avocat au barreau de Paris, a mis en évidence les verrous juridiques qui freinent l’émergence de synergies intersectorielles. Enfin, Soufiane Jakani, directeur général de SUEZ Maroc, a insisté sur la nécessité de structurer un modèle circulaire national cohérent, appuyé sur des infrastructures solides et des mécanismes financiers adaptés.

«En terme d’écologie industrielle, le Maroc est troisième au rang mondial, juste derrière le Danemark et le Royaume-Uni»

—  Abdellatif Maâzouz

Le premier constat qui ressort de cette table ronde est l’écart persistant entre la vision nationale et la réalité opérationnelle. Si le Maroc compte déjà plusieurs initiatives pionnières — notamment dans l’industrie automobile — celles-ci restent encore marginales au regard de l’ampleur du gisement national de ressources valorisables.

Aujourd’hui, la majorité des déchets industriels suit un schéma linéaire: production, utilisation, élimination ou exportation, sans réelle intégration aux chaînes de valeur. Les projets existants s’apparentent davantage à des démarches volontaires d’entreprises engagées qu’à une stratégie nationale structurée. Sans traçabilité ni incitations réelles, le passage à un modèle économique circulaire demeure incertain.

Selon Mohamed Bachiri, la bascule vers l’économie circulaire ne pourra se faire «que si les solutions deviennent rentables et industriellement intégrables». Autrement dit, le Maroc doit cesser de considérer les déchets uniquement comme une problématique de gestion (collecte, traitement, élimination) et commencer à les intégrer comme une étape dans une chaîne de production créatrice de valeur économique.

Sur quoi repose la souveraineté industrielle?

Le débat a particulièrement mis en lumière l’exemple de l’industrie automobile, secteur dans lequel le Maroc s’est imposé comme hub exportateur à l’échelle mondiale. Produire pour l’export ne suffit plus: il s’agit désormais de sécuriser la souveraineté sur les matières premières et les mécanismes de transformation.

Aujourd’hui, le Maroc compte une centaine d’équipementiers de rang 1. Mais la vraie dépendance se situe sur les fournisseurs de rang 2 et 3, là où se créent les composants primaires. Tant que les matières premières ne sont pas intégrées au niveau local, le pays reste vulnérable aux fluctuations mondiales et dépendant de chaînes logistiques externes.

L’économie circulaire devient alors une solution stratégique de résilience nationale. De la collecte des matériaux à leur conversion, jusqu’à la fabrication de pièces ou de produits reconditionnés, le Maroc doit apprendre à intégrer l’ensemble du cycle de vie des ressources. Plusieurs experts ont rappelé que la simple boucle de recyclage ne suffit pas: la transformation en profondeur du modèle de production est nécessaire pour que le pays maîtrise ses flux industriels.

Un point intéressant soulevé lors des échanges est la pertinence même du concept d’économie circulaire. Celui-ci, bien qu’efficace en termes de communication, reste souvent interprété comme un recyclage amélioré. Mohamed Oulkhouir a proposé de lui substituer ou de le compléter par un autre concept: la symbiose industrielle.

La symbiose ne consiste pas à faire tourner un produit dans une boucle fermée, mais à créer des interactions intelligentes entre plusieurs secteurs industriels. Dans ce modèle, les résidus d’un secteur deviennent les ressources d’un autre. Cette coopération nécessite une mise en relation active des acteurs, accompagnée par l’État et soutenue par un cadre contractuel dédié.

L’exemple du partenariat entre Renault et Maghreb Steel illustre cette orientation. L’accord a permis de réinjecter dans la production locale des déchets métalliques auparavant exportés. Résultat: baisse des coûts, réduction des émissions et performance renforcée. Cette réussite démontre le potentiel de la symbiose interentreprises, à condition qu’elle soit soutenue par une structure légale adaptée.

Le cadre réglementaire: vrai verrou stratégique

Au Maroc, la loi n°28-00 relative à la gestion des déchets définit comme «déchet» toute matière issue d’un processus de production que son détenteur destine à l’abandon ou à la valorisation. Si le cadre légal permet en théorie la réutilisation ou le recyclage, la classification réglementaire de ces matières comme déchets implique des obligations strictes en matière de stockage, de transport, de traçabilité et de responsabilité du détenteur. Dans les faits, cette approche crée une complexité administrative qui peut freiner la réintégration industrielle de ces matériaux, malgré leur potentiel de valorisation.

La solution? Mohamed Oulkhouir a suggéré une évolution vers un statut juridique intermédiaire tel que celui de «sous-produit» afin de faciliter leur circulation et leur réutilisation dans les chaînes de production sans contraintes excessives. Tant que ce point ne sera pas réglé, les projets devront soit contourner la réglementation, soit se limiter à des opérations de traitement linéaires.

Aujourd’hui, le Maroc se positionne comme vitrine de l’écologie industrielle sur le continent. «Troisième au rang mondial, juste derrière le Danemark et le Royaume-Uni», précise Abdellatif Maâzouz. Mais l’enjeu dépasse le cadre environnemental. Les normes européennes, notamment en matière d’empreinte carbone des produits importés, vont imposer une reconfiguration des chaînes industrielles mondiales.

Autrement dit, un produit non circulaire ne sera bientôt plus compétitif à l’export. L’économie circulaire devient donc une condition d’accès aux marchés internationaux et non plus un choix éthique. Plusieurs intervenants ont mis en garde: si le Maroc ne considère pas l’économie circulaire comme un enjeu économique et stratégique à part entière, il risque de voir son avance industrielle s’éroder.

De la table ronde organisée par SUEZ Maroc est ressortie une conclusion centrale: l’avenir de l’industrie marocaine se jouera dans sa capacité à adapter son cadre réglementaire pour permettre la réutilisation industrielle des ressources, à créer des modèles économiques viables intégrant la circularité comme norme, à encourager la collaboration entre filières plutôt qu’un raisonnement strictement sectoriel, et à passer enfin de l’expérimentation à une industrialisation à grande échelle.

Par Camilia Serraj
Le 01/12/2025 à 09h23