Récemment nommé à la tête de l’Agence marocaine de développement du digital, Amine El Mezouaghi inscrit son action dans une séquence stratégique déterminante pour l’avenir numérique du Royaume. Alignée sur la vision Maroc Digital 2030, la nouvelle feuille de route de l’ADD ambitionne de donner un nouvel élan à la transformation digitale en renforçant la gouvernance, la coordination et l’impact des politiques publiques dans ce domaine. «L’objectif affiché est de faire du numérique un levier transversal de modernisation de l’action publique, de compétitivité économique et d’inclusion sociale», indique le magazine Challenge dans une analyse dédiée.
Au cœur de cette stratégie figure le chantier de l’administration électronique, considéré comme un pilier structurant. L’ADD entend accompagner les administrations dans la simplification des parcours usagers, la dématérialisation des procédures et la mise en place de plateformes sécurisées d’échange de données. L’amélioration de l’expérience citoyenne est présentée comme un indicateur central de réussite, avec des projets concrets tels que le déploiement d’un portefeuille numérique, le renforcement du portail Idarati et la fluidification de l’accès des citoyens et des entreprises aux services publics. Une orientation qui répond aux attentes exprimées par le secteur privé. Selon une étude de l’AUSIM, la digitalisation des services publics est perçue par une large majorité des entreprises marocaines comme un facteur à fort impact sur leur activité, la mise en place d’une gouvernance solide et l’implication accrue du secteur privé figurant parmi les principales recommandations.
Parallèlement à l’e-gouvernement, l’innovation et l’économie numérique occupent une place centrale dans la vision portée par la nouvelle direction de l’ADD. L’Agence souhaite structurer son action en faveur des start-up à travers une Startup Policy visant à encourager l’expérimentation, les partenariats public-privé et l’intégration des jeunes entreprises innovantes dans les grands projets de transformation digitale. «Cette dynamique couvre des secteurs jugés stratégiques, notamment la fintech, la healthtech, l’edutech et la govtech. Amine El Mezouaghi affirme ainsi l’ambition de faire de l’ADD une institution de référence, engagée dans le déploiement de stratégies nationales de transformation digitale souveraine, fondées sur l’excellence, la confiance et la mobilisation de l’ensemble des écosystèmes», écrit Challenge.
Cette vision est globalement saluée par les acteurs du numérique, tout en suscitant des appels à une approche plus inclusive de l’écosystème. Pour l’APEBI, la feuille de route de l’ADD intervient à un moment charnière et traduit une ambition légitime de positionner le digital comme un moteur de compétitivité, d’attractivité et de création d’emplois qualifiés. Elle rappelle toutefois que l’écosystème numérique marocain est aujourd’hui mature et diversifié, reposant non seulement sur les start-up, mais aussi sur des PME technologiques solides et un secteur d’outsourcing structuré dans le cadre de l’offshoring. Ce dernier constitue depuis plusieurs années un pilier majeur des exportations de services et de l’emploi qualifié, couvrant des segments à forte valeur ajoutée tels que l’IT outsourcing, l’ingénierie, le BPO, le KPO et le CRM. En 2024, le chiffre d’affaires de l’outsourcing au Maroc a atteint 26 milliards de dirhams, dont 66 % générés par les entreprises membres de l’APEBI, illustrant le rôle central du secteur privé organisé dans la création de valeur.
Au-delà de l’e-gov et de l’innovation, la question de la connectivité demeure un prérequis incontournable pour une transformation digitale à grande échelle. Consciente de cet enjeu, l’ADD prévoit de renforcer la territorialisation des politiques numériques à travers la création d’antennes régionales, afin de réduire la fracture numérique, notamment dans les zones rurales et auprès des populations vulnérables. La transformation digitale n’est ainsi conçue comme pertinente que si elle se traduit par des améliorations concrètes, mesurables et continues de l’expérience usager.
Ces ambitions s’inscrivent dans un contexte où le Maroc a multiplié, au fil des années, les stratégies en faveur du numérique, de Maroc Numeric 2013 à Maroc Digital 2030, en passant par Maroc Digital 2020 et Morocco Tech. Pourtant, malgré cette volonté politique affirmée, le constat reste contrasté. Selon l’ANRT, une digitalisation réussie pourrait permettre d’économiser jusqu’à 718 millions d’heures de travail par an, soit l’équivalent de 1% du PIB. Un potentiel considérable, encore partiellement exploité, qui interroge sur la place réelle accordée à l’économie numérique dans les choix d’investissement et de gouvernance.







