Croissance tirée par la demande intérieure: un moteur puissant mais fragile

Croissance économique.

Croissance économique. (Image d'illustration)

Alors que l’économie marocaine affiche une croissance de 5,5% au deuxième trimestre 2025, celle-ci repose presque exclusivement sur la vigueur de la demande intérieure. Derrière cette embellie portée par les actions de l’État se dessine un modèle de croissance déséquilibré, fragilisé par la faible contribution des exportations et la dépendance aux finances publiques. Analyse.

Le 19/11/2025 à 10h31

Au deuxième trimestre 2025, l’économie marocaine enregistre une progression de 5,5%, un rythme soutenu dans un contexte global pourtant marqué par le ralentissement du commerce mondial. Cette évolution repose quasi exclusivement sur la vigueur de la demande intérieure, un phénomène assumé par les pouvoirs publics à travers une stratégie de relance centrée sur la consommation et l’investissement.

«La dynamique de croissance observée s’explique par la vigueur de la demande intérieure, portée simultanément par la consommation des ménages et par une accélération de l’investissement», explique Mohammed Jadri, économiste interrogé par Le360. Ce dernier souligne que ce mouvement est intimement lié au contexte économique actuel, marqué par la mise en œuvre de mesures sociales et fiscales décidées dans le cadre du dialogue social.

La révision de l’impôt sur le revenu, l’augmentation progressive des salaires et le déploiement de l’aide directe aux ménages ont permis «d’améliorer le revenu disponible pour une partie des ménages, ce qui a mécaniquement stimulé la consommation interne».

L’État joue un rôle central dans cette dynamique. L’investissement public, soutenu par les grands chantiers d’infrastructures inscrits dans le budget 2025, constitue le principal levier. Selon l’expert, «le Maroc reste, en proportion de son PIB, l’un des pays émergents les plus investis par l’État», ce qui engendre des effets multiplicateurs sur les secteurs du BTP, des matériaux de construction, des services et des équipements industriels.

À cet effet, Mohammed Jadri souligne que «l’investissement public continue d’être le principal moteur de stimulation de l’économie nationale», ce qui attire par ricochet une partie de l’investissement privé, notamment dans des secteurs stratégiques comme l’automobile, les énergies renouvelables ou le numérique.

La consommation des ménages se maintient comme second pilier de cette croissance. Si certaines catégories bénéficient effectivement d’un renforcement du revenu via les mesures fiscales et salariales, cette amélioration ne doit pas être surestimée. «Cette embellie repose aussi sur des éléments conjoncturels», insiste l’économiste, évoquant un «rattrapage post-crise» lié aux effets différés de la pandémie Covid-19 et des tensions inflationnistes de 2022-2023. Il évoque également des facteurs saisonniers liés au calendrier religieux, touristique et agricole, tout en rappelant que, sans ancrage durable sur la productivité et l’emploi, «ces avancées risquent de rester transitoires».

Cette dynamique profite en premier lieu aux secteurs fortement dépendants des dépenses publiques, notamment le BTP et la construction, stimulés par l’avancement des chantiers structurants et la reprise de certains projets immobiliers et touristiques. Le commerce, la distribution et les services (dont les transports, le tourisme et la restauration) bénéficient eux aussi de cet élan, alimentés par le retour des comportements de consommation différée des ménages, qui renouent progressivement avec des habitudes pré-crise.

Et la demande extérieure dans tout ça?

À l’opposé, la demande extérieure affiche un repli en dépit de bonnes performances sectorielles isolées. «Même si l’automobile ou l’aéronautique affichent des résultats honorables, ils ne compensent pas le recul d’autres filières comme les phosphates, certains produits agricoles transformés ou le textile», analyse Jadri. Il ajoute que la stagnation économique en Europe, «où une grande partie des pays comme la France, l’Allemagne ou l’Espagne connaissent une activité atone», pèse directement sur les exportations marocaines.

À cela s’ajoute la baisse des cours de certaines matières premières, qui réduit mécaniquement la valeur des ventes à l’étranger, tandis que l’augmentation des importations liées aux projets d’investissement «neutralise l’effet positif des exportations, même lorsque celles-ci progressent».

Le Maroc renoue ainsi avec un déséquilibre structurel du modèle de croissance. Selon l’expert, «la demande interne progresse beaucoup plus vite que la demande extérieure, créant un déficit commercial et une contribution négative du commerce extérieur à la croissance».

Il reconnaît que ce modèle n’est viable «que si les investissements conduisent à une montée en gamme des exportations et à une diversification de la base productive». Dans le cas contraire, le risque est de retomber dans un schéma de croissance coûteuse, dépendante des financements publics et peu transformante.

Ce phénomène n’est pas propre au Maroc. En Europe également, de nombreux pays comme la France ou l’Allemagne voient leur croissance davantage portée par la demande interne. Toutefois, la comparaison s’arrête là: «Contrairement à ces économies avancées qui disposent d’une base industrielle solide et d’un système de protection sociale puissant, le Maroc n’a pas la même marge budgétaire ni la même structure productive», prévient-il.

Cela rend le déséquilibre plus risqué. Il suggère que le Maroc s’inspire plutôt des trajectoires de pays émergents asiatiques: «Il faut utiliser la phase actuelle de demande interne forte pour préparer son redéploiement externe», notamment en misant sur des niches exportatrices, sur la productivité et sur le contenu local.

Mohammed Jadri appelle à faire du moteur interne un levier de mutation productive. «La demande intérieure doit devenir un levier de transformation productive, pas un simple moteur conjoncturel», insiste-t-il.

Renforcer la demande extérieure suppose avant tout une montée en gamme de l’offre exportable, une compétitivité structurelle améliorée à travers des réformes logistiques, fiscales et de formation ainsi qu’une gestion macroéconomique plus prudente. Faute de quoi, le Maroc pourrait se retrouver dans «un piège de croissance molle, où les effets sont temporaires et non transformateurs».

Par Camilia Serraj
Le 19/11/2025 à 10h31