Les temps s’annoncent durs pour les commerçants d’habillement à la sortie du confinement. Des loyers qui s’accumulent, des stocks aussi, des factures de fournisseurs impayées, mais aussi de nouvelles commandes qui ne seront, vraisemblablement, jamais livrées. Le360 a constaté, lors d’une tournée effectuée dans les principaux quartiers et centres commerciaux de Casablanca, la situation difficile dans laquelle se trouvent les commerçants et gérants d’enseignes rencontrés.
«Ce sont des soldes forcés», lance, non sans un brin d’humour, Khalil, locataire et gérant d’un magasin d’habillement pour femmes dans le centre-ville. Ce dernier affiche des rabais de 60, 70 ou encore 90% sur tout le magasin. Malgré cela, les clients se font très rares depuis la réouverture. «Certains hésitent même à y rentrer, préférant échanger avec les vendeurs devant les vitrines», déclare notre interlocuteur. Il y a psychose, bien que le gérant ait installé le matériel de désinfection exigé par les autorités.
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La collection accrochée dans le magasin est celle de l’été 2019. «Nous n’avons pas pu nous procurer de nouvelles collections. Les usines de textile sont à l’arrêt et les importations se font très rares», confie ce commerçant.
Un peu plus loin, Jalil, un marchand de chaussures, confie n’avoir reçu aucun client depuis la réouverture. Lui, il a fait le choix de liquider tous les articles et de fermer définitivement son commerce. «Quatre mois d’inactivité m’ont contraint à m’endetter lourdement auprès de ma banque, mes amis et ma famille pour honorer mes dettes. Je n’ai pas d'autre choix que de vendre mes stocks et de baisser le rideau», déclare avec amertume et désolation ce commerçant. Et d’ajouter, «c’est un non-sens d’espérer reprendre un rythme normal de ventes, même dans cinq ou six mois, et de rattraper toutes les pertes enregistrées entre les loyers réglés, les factures des fournisseurs et le manque à gagner par rapport au prix d’origine des articles exposés».
Autre quartier, autre décor, à Maârif, haut lieu du commerce de prêt-à-porter casablancais, où se côtoient grandes enseignes, magasins indépendants et vendeurs à la sauvette, les marchands broient du noir. «J’ai vendu pour l’équivalent de 2.000 dirhams durant ces quatre derniers jours», confie Layla, gérante d’un magasin de vêtements pour enfants. La mosaïque des promos affichées sur les vitrines n’a servi à rien. «Je vends à perte. J’y suis obligée pour solder toute la collection entassée à l’arrière du magasin. Les fournisseurs me relancent matin et soir pour que je leur règle les factures arrivées à échéance», explique cette gérante et propriétaire qui dès le début du mois devrait aussi payer à sa banque quelques dizaines de milliers de dirhams de traites immobilières reportées à juillet.
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Un peu loin dans un mall, l’ambiance est moins sinistre. Des enseignes disent avoir repris un peu le business durant le week-end. Des propriétaires sont de surcroît multi-activités, ce qui leur permet d’amortir un tant soit peu l’impact de la crise. Ils réalisent une péréquation entre plusieurs affaires détenues dans d’autres secteurs. Les aides bancaires dont ils bénéficient sont un peu plus conséquentes que pour des indépendants mono-activité. C'est le cas d'Ahmed, propriétaire d’une supérette de produits alimentaires et d’une boulangerie dans le centre-ville. «Mes activités sont logées dans une entreprise à travers laquelle j’ai pu obtenir auprès de ma banque un crédit Oxygène et Relance suffisant pour tenir et atténuer les impacts de la crise, en attendant le redémarrage de la vente de prêt-à-porter», explique-t-il.
Structurée et à taille humaine, son entreprise semble pouvoir tenir face à cette crise sans précédent. Ce n’est pas le cas de sa voisine, Amal, qui elle aussi pense tout lâcher, dépassée par les événements. «Nous n’avons rien vu venir. On se bat avec nos propres moyens, très limités, pour tout juste survivre. J’ai quelque 2 millions de dirhams de factures à régler et je crains réellement d’avoir des problèmes judiciaires par la suite avec mes fournisseurs», confie cette gérante, ancienne cadre de banque qui s’est reconvertie dans le commerce de vêtements pour femmes. Elle confie avoir des chèques à honorer et craint pour sa liberté.
Il faut rappeler que la remise de chèques de garantie aux fournisseurs est une pratique courante au sein du milieu. Tous les commerçants interviewés sont dans ce cas de figure. Ils prient pour que l’État puisse revoir et/ou surseoir aux procédures de poursuite et de contrainte par corps appliquées automatiquement par les procureurs du roi, si des fournisseurs portent plainte pour des chèques impayés.
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Il ressort également des propos recueillis que les commerçants sont conscients de devoir se réinventer et réviser leurs pratiques de gestion. Bon nombre d'entre eux souhaitent notamment contracter à l’avenir des assurances pour perte d’activité et de chiffre d’affaires à cause de tels facteurs exogènes. Ils pensent aussi à monter, au sein d’associations professionnelles, des fonds d’appui et de garantie alimentés par une partie prélevée annuellement sur le chiffre d’affaires. La crise du Covid-19 va en obliger beaucoup à se restructurer, à s’organiser en groupements et à se réinventer.