Amnistie fiscale: les raisons d’un succès inattendu

Les 85 milliards de dirhams en espèces déclarés dans le cadre de l'amnistie fiscale représentent près de 20% du cash en circulation au Maroc.

Les derniers chiffres officiels font état d’environ 125 milliards de dirhams d’avoirs déclarés dans le cadre de l’amnistie fiscale prévue dans la loi de finances 2024. Un record inattendu pour l’administration fiscale, qui tablait sur un objectif avoisinant les 60 milliards de dirhams. Retour sur les raisons du succès de cette opération qui ouvre une nouvelle page dans la relation entre le fisc et les contribuables.

Le 10/01/2025 à 10h22

Qui aurait imaginé, il y a quelques semaines, que cette opération rencontrerait un tel succès? Sur un total de 125 milliards de dirhams déclarés, près de 85 milliards de dirhams correspondent aux avoirs régularisés sous forme d’espèces auprès du réseau bancaire. Ce montant représente environ 20% du cash en circulation au Maroc, estimé à quelque 425 milliards de dirhams. Le reste, soit 40 milliards de dirhams, correspond à la partie déclarée au niveau des perceptions, réservée aux acquisitions immobilières et aux apports en comptes courants d’associés.

Lancée le 1er janvier 2024, l’amnistie fiscale n’avait pourtant pas suscité un grand intérêt chez la population cible au cours des huit premiers mois de l’année. Les volumes enregistrés étaient dérisoires, jusqu’au jour où l’administration fiscale a décidé de changer de stratégie en lançant, vers la fin du mois de septembre, une série de contrôles ciblés touchant les grandes fortunes non déclarées du pays.

L’opération a été minutieusement réfléchie et menée de bout en bout par les équipes de la Direction générale des impôts (DGI). «Il y avait quelques résistances au début, y compris au sein du gouvernement. Certaines voix ont exprimé des réserves, prétextant que ces contrôles pourraient semer la panique au sein de la population», nous confie une source proche du dossier. Celle-ci reconnaît toutefois que l’exécutif a fait preuve de «neutralité positive», offrant à la DGI une plus grande liberté pour mettre en œuvre son plan d’action.

Ce qui a donné la crédibilité à l’action de la DGI, c’est que tous les contribuables soumis au contrôle, qu’ils soient hommes d’affaires ou hommes politiques, ont été traités sur un même pied d’égalité. «Les gens ont vu que cela ne servait à rien de frapper à des portes à droite et à gauche pour espérer un traitement spécial», témoigne cet inspecteur vérificateur. Ces opérations de contrôle ont eu pour effet de pousser les contribuables concernés à souscrire massivement à l’amnistie.

Souplesse, minutie et bouche-à-oreille

Un détail introduit dans la loi encadrant cette opération avait aussi son importance et a contribué pleinement à sa réussite. En effet, le contrôle du fisc n’empêche pas les personnes contrôlées de bénéficier de l’amnistie. «Les personnes soumises au contrôle pouvaient encore profiter de la contribution libératoire de 5%», explique cet expert-comptable.

Le bouche-à-oreille a ensuite fonctionné et les contribuables concernés ont vite compris que le fisc est suffisamment outillé pour avoir une idée précise des écarts qui pourraient exister entre les revenus déclarés et les dépenses réelles. «Le fisc a dû me rappeler un RIB que j’avais fermé et dont j’ai oublié même l’existence», confirme ce chirurgien dentiste basé à Casablanca. Une délégation de la DGI a fait le tour du Maroc pour sensibiliser et accompagner les inspecteurs-vérificateurs, afin d’avoir la même compréhension du dispositif.

Malgré quelques réticences au début de l’opération, les banques ont joué un rôle essentiel dans la réussite de l’amnistie fiscale, aussi bien lors desdites opérations de contrôle que durant le rush observé les derniers jours précédant la deadline du 31 décembre. La DGI a sollicité l’appui du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) et des directions centrales et régionales des banques pour assurer un traitement fluide et uniformisé des clients qui ont souscrit à cette opération.

In fine, la stratégie du fisc, conciliant amnistie et contrôle, a donc été payante. Les fortunes qui échappaient au secteur formel ont renouvelé leur confiance dans l’administration fiscale. En contrepartie, cette dernière a pris l’engagement de ne pas inquiéter les personnes ayant assaini leur situation en souscrivant à l’amnistie. D’où ce bilan record de 125 milliards de dirhams.

Par Wadie El Mouden
Le 10/01/2025 à 10h22