Le timing n’est pas innocent. Quelques heures après le limogeage du ministre des Finances, Mohammed Boussaïd, certains dirigeants du groupe Saham ont pris attache avec quelques médias, tard dans la soirée d’hier, pour laisser entendre que des opérations de couverture contre le risque de change auraient été menées le jour-même auprès de plusieurs banques de la place, anticipant de ce fait le déblocage du milliard de dollars correspondant au montant du deal conclu à l’occasion du projet de cession du pôle assurances de Saham au sud-africain Sanlam. Cela pour signifier que l’Autorité de contrôle des assurances et de la prévoyance sociale (Acaps) aurait donné son feu vert à l’opération Saham-Sanlam. Or, à ce jour, il n’en est rien.
«Si quelqu’un doit se couvrir, ce serait plutôt le sud-africain Sanlam», commente ce responsable de la salle de marchés d’une grande banque de la place. Le contrôle de l’Office des changes dans le cadre des opérations de couverture de ce type n’est pas à exclure puisque celles-ci doivent absolument être adossées à des opérations réelles (transactions commerciales, rapatriement de dividendes, etc). Le marché garde toujours en mémoire le scandale des couvertures menées par les banques en juin 2017 en marge des préparatifs de la transition vers la flexibilité du dirham, et dont l’effet se fait encore sentir sur le niveau des réserves en devises.
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Même en supposant que le groupe Saham aurait effectivement reçu le feu vert de l’Acaps, qui empêcherait cette autorité de communiquer sa décision au grand public? Contactée par le360, cette autorité est restée injoignable. Il faut reconnaître que l’Acaps entoure ce dossier d’une discrétion inhabituelle. Surtout quand on sait que les membres formant son Conseil, soit l’instance suprême en charge de l’octroi des agréments, composé entre autres de la présidente de l’AMMC et de la directrice du Trésor, sont tous mis à l’écart du traitement de ce dossier. «Nous avons juste été informés du dépôt éventuel du dossier en marge de l’avant dernière réunion», nous confie une membre. Une discrétion qui puise sa légitimité dans la loi portant création de l’Acaps et en vertu de laquelle, contrairement à l’octroi de l’agrément, le pouvoir de statuer sur le changement de l’actionnariat d’une compagnie d’assurance se trouve entre les mains d’une seule personne: le président de l’Acaps.
L’actuel numéro un de l’Acaps, Hassan Boubrik, faut-il le rappeler, a été installé dans sa nouvelle fonction par Mohamed Boussaïd, le ministre des Finances limogé mercredi 1er août qui, au demeurant, est du même bord politique que le fondateur du groupe Saham, Moulay Hafid Elalamy.
Une chose est sûre, le retard manifeste du côté de l’Acaps pour se prononcer sur ce dossier ne peut s’expliquer que par une seule et unique raison: le groupe Saham a encore du mal à fournir un dossier complet devant l’Acaps. C’est à partir de ce moment précis que l’on peut enclencher le compte à rebours de trente jours fixés par la loi pour recueillir l’accord définitif. Or, à ce jour, soit cinq mois après l’annonce en fanfare du deal Saham-Sanlam, l’Acaps n’a à aucun moment communiqué la date précise de réception du dossier «complet». Cela aurait pu donner plus de crédibilité à l’instruction visiblement «spéciale» réservée au deal noué par Elalamy avec le frère de la Première dame sud-africaine.
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Le traitement particulier de l’opération Saham/Sanlam par l’Acaps est loin de révéler tous ses secrets. D’aucuns commencent à piocher dans le passif de Saham Assurances, notamment dans les «faveurs» accordées par les autorités à Moulay Hafid Elalamy au moment de la reprise de la compagnie Essaada (celle-ci avait fusionné avec Cnia pour devenir plus tard Saham Assurances). Pour reprendre Es Saada, le ministre Elalamy avait bénéficié en 2007 d’un prêt sans intérêts (à taux zéro) de 800 millions de dirhams auprès du Fonds de solidarité des assurances (FSA), l’un des nombreux comptes spéciaux du Trésor gérés par….le ministre des Finances. Quand on sait qu’Elalamy s’est engagé à rembourser ce prêt en deux échéances, la première fixée au 23 octobre 2022, puis la seconde au 12 mai 2023, on est en droit de se demander si l’Acaps, en donnant soi-disant son feu vert à Elalamy pour couvrir son milliard de dollars contre la dépréciation, a également couvert l’intérêt national en s’assurant de la récupération du montant dû au FSA.
Ce Fonds, pour rappel, est financé grâce aux ressources collectées à travers la taxe sur les assurances payée par les clients de l’ensemble des compagnies d’assurances. Puis, pour celui qui protège dès maintenant la valeur de son milliard de dollars sur le marché des changes, ne serait-il pas judicieux de racheter le crédit de 800 millions de dirhams au lieu de le transférer à Sanlam, surtout quand on traîne encore les séquelles d'une disposition figurant dans la Loi des Finances 2018 et à cause de laquelle le Trésor est privé d’une somme de 400 millions de dirhams.