C’est dans les synagogues d’Aguerd, dans le Tamanart, et de Tagadirt, dans l’oasis d’Akka, qu’une équipe multidisciplinaire prend à tâche de faire revivre l’histoire et les mémoires de ces lieux emblématiques. Archéologues, anthropologues, historiens et géographes se mobilisent comme jamais pour mieux comprendre les trajectoires des communautés juives marocaines.
L’équipe de fouille est composée de Saghir Mabrouk, professeur à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP) et directeur de ce projet, Yuval Yekuteili, archéologue et professeur à l’Université Ben Gourion du Néguev en Israël (BGU), Orit Ouaknine, professeure en anthropologie à BGU, David Goeury, géographe paysagiste et professeur à l’Université de la Sorbonne, Salima Naji, architecte et anthropologue, et Aomar Boum, anthropologue et professeur à l’Université de Californie de Los Angeles aux Etats-Unis.
Contacté par Le360, Saghir Mabrouk, professeur à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP) et directeur de ce projet, indique que ces fouilles archéologiques, menées depuis déjà une année, ont permis de repérer un «véritable trésor du patrimoine judéo-marocain». Il s’agit notamment de fragments de manuscrits en hébreu, d’objets liturgiques, de bijoux, de pièces d’antiquité, d’amulettes, ainsi que d’ustensiles de la vie courante et de pièces de monnaie.
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«Les manuscrits écrits en hébreu ont été décryptés avec succès, révélant des actes de mariage, de vente et d’achat. Actuellement, toutes ces découvertes sont en cours d’étude. Ces documents datent probablement du XVIe au XXe siècle», note l’expert.
100.000 fragments de manuscrits
«Les recherches que nous avons menées nous ont permis de dégager pratiquement 100.000 fragments de manuscrits des synagogues oasiennes d’Aguerd et de Tagadirt. Ces découvertes exceptionnelles constituent une mine d’or pour l’histoire du Maroc, permettant de mieux comprendre son riche passé et sa culture plurielle», s’extasie Saghir Mabrouk, pour qui «plonger dans le patrimoine judéo-marocain, c’est s’immerger dans l’univers fascinant des derniers habitants du mellah. L’exploration de leurs objets, de leur habitat et de leur mode de vie nous transportera dans leur époque riche en histoires captivantes et en traditions uniques.»
Une fouille préventive puis systématique
Ce projet vise à analyser et mettre en valeur à la fois les derniers porteurs de mémoire directs et les derniers bâtiments menacés de disparition par l’usure du temps et les mobilités. «Pour ce faire, notre équipe pluridisciplinaire a pratiqué, au tout début, une fouille préventive pour sauver le maximum d’objets et de documents, ainsi que les anciennes structures des synagogues, étant donné qu’elles étaient en ruine. Les deux sites ont été préservés de la menace d’effondrement grâce à des opérations de restauration d’urgence», explique le chercheur.
«Par la suite, nous avons organisé une fouille systématique qui entre dans le cadre d’une convention entre l’INSAP et l’Université Ben Gourion du Néguev», poursuit notre interlocuteur, rappelant que «cet accord a pour objectif d’établir une prospection archéologique partagée sur le patrimoine judéo-marocain, pas seulement dans le sud du Maroc, mais dans tout le Maroc».
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Ce partenariat porte également sur l’élaboration d’un inventaire de sites des monuments historiques judéo-marocains et d’une carte archéologique, avec un circuit touristique. Il est par ailleurs question d’étudier les matériels archéologiques récoltés et de sauvegarder les structures anciennes.
Chaque synagogue fouillée sera restaurée
«Nous mettons tout en œuvre pour préserver les structures anciennes des anciens bâtiments. L’objectif est de les restaurer intégralement et conserver toute leur authenticité. Chaque synagogue que nous avons fouillée sera ainsi soigneusement restaurée avec passion et dévouement, pour que tout un chacun puisse découvrir son histoire fascinante et son charme unique», ajoute Saghir Mabrouk.
Un impact socio-économique et culturel majeur
Selon le professeur à l’INSAP, la restauration minutieuse du patrimoine judéo-marocain aura un impact socio-économique et culturel considérable. «En ouvrant les portes de ces synagogues rénovées aux visiteurs, des opportunités économiques seront créées pour les habitants des régions avoisinantes, tout en faisant connaître et en célébrant l’héritage judéo-marocain auprès de la population locale et des touristes», précise-t-il.
De plus, la restauration de ces synagogues est bien plus qu’un simple travail de rénovation: «C’est une manière de transmettre une histoire riche en traditions et en valeurs à la nouvelle génération, pour qu’elle puisse comprendre l’importance de ce patrimoine national et l’inclure dans son identité culturelle».
Il reste encore beaucoup de travail à mener
Saghir Mabrouk souligne qu’il reste encore des découvertes à faire à travers le Maroc. «Nous aurons sûrement la chance de trouver des merveilles exceptionnelles dans de nombreux sites qui ont été marqués par la présence de juifs marocains. Notre prochaine étape sera Tahla, où se trouvent un mellah et une synagogue abandonnée», indique-t-il.
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Selon un document publié par la Faculté des lettres de Sorbonne Université, les traces matérielles de la présence des communautés juives dans les oasis marocaines, notamment architecturales, sont de plus en plus menacées d’effondrement après plusieurs décennies d’abandon.
Durant la seconde moitié du XXe siècle, les communautés juives des oasis ont quitté brutalement le Maroc. Ce départ, d’abord progressif dans le cadre de l’urbanisation et de la littoralisation des communautés juives marocaines, s’est ensuite accéléré du fait de l’émigration massive des familles juives vers Israël mais aussi vers l’Amérique du Nord ou l’Europe.