Une scène d’Essaouira, 2003. Un souffle d’anticipation flotte dans l’air. Les notes de la reprise de «Hak A Mama» montent, chantées en darija. C’est la première fois que Neta Elkayam résonne au Maroc dans la langue de ses aïeux.
«Dans l’ombre des incertitudes et des doutes, je me tenais face à la perspective intimidante de chanter en darija. La peur de trébucher sur les mots, de déformer les sonorités de cette langue si chère à mon cœur, me tourmentait. Et il y avait cette anxiété concernant la réaction du public», se remémore-t-elle.
Elle se souvient encore des mots d’un gourou qui avait essayé de la dissuader: «Il m’avait dit que cette chanson, cette mélodie que je chérissais tant, n’avait pas sa place dans les festivals, qu’elle était destinée à se perdre dans les ombres de l’oubli.»
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Malgré cette mise en garde, elle a choisi de suivre son intuition: «J’ai décidé de libérer la mélodie qui palpitait en moi. J’ai choisi de faire taire la peur et de me laisser emporter par la musique». La réaction? Une standing ovation, profondément émouvante, qui a gravé ce moment dans le marbre de ses souvenirs.
Entre appréhension et triomphe
«Lorsque les premières notes ont dansé dans l’air, j’ai senti mon cœur battre en harmonie avec elles. Et puis vint ce moment magique, ce moment où le public s’est levé d’une seule voix pour m’applaudir, pour me saluer. Une standing ovation, une déferlante d’émotions qui a balayé toutes les incertitudes, tous les doutes. Dans cet éclat d’applaudissements, j’ai ressenti que ma voix et ma présence avaient trouvé leur place», partage-t-elle.
Neta est une fille de Netivot, née en 1980, une ville où l’empreinte du Maroc est vivace, ayant accueilli une forte communauté juive nord-africaine. «Mon père vient de Tinghir, ma mère de Casablanca. Netivot était un tableau vivant de la culture marocaine.» dit-elle. Elle peint une image de son enfance, marquée par les échos de la darija dans les rues, la saveur de la cuisine marocaine et l’effervescence des festivités maghrébines.
L’appel de la musique
Alors que la musique a toujours palpité dans ses veines, elle a également exploré le monde de l’art moderne, d’abord comme étudiante, puis enseignante. Mais le chant, cette passion primitive, l’a rappelée à ses origines. «Cinq ans après l’enseignement, j’ai décidé de me concentrer sur ma carrière musicale» précise-t-elle.
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Ce sont des artistes comme Yeshua Azoulay et Hanania Abergeil qui ont été les premières étincelles musicales pour la jeune Neta. «Yeshua Azoulay, était un véritable prodige de la musique andalouse, un enchanteur dont les doigts semblaient danser sur les cordes, extrayant des émotions vibrantes à chaque mouvement. Sa musique était une plongée profonde dans les eaux cristallines d’une tradition riche, évoquant des émotions anciennes et des histoires enfouies. Hanania Abergeil était un maestro du oud. Son instrument était comme une passerelle entre les époques, un portail qui nous transportait vers les rues animées et les rencontres joyeuses du chaâbi des années 1960. Chaque note qu’il jouait était une étreinte chaleureuse avec le passé, un hommage vibrant à des temps révolus», poursuit-elle.
Du classique au contemporain
Avec son époux, Amit Hai Cohen, arrangeur et producteur, elle a su dénicher les nuances musicales et les rendre siennes. «J’éprouve une préférence pour les anciennes chansons, en particulier celles interprétées par des femmes», signale-t-elle, évoquant la magie qui opère lorsqu’elle découvre une chanson qui touche son âme. Son exploration ne se limite pas aux anciennes mélodies. Elle s’est également jointe à des artistes modernes tels que Mokhtar Gania et Abir Abed, et s’imprègne de genres variés, du chaâbi au hip-hop marocain.
«Mon amour pour une multitude de genres musicaux se reflète profondément dans ma propre musique. Enracinée dans le patrimoine musical marocain, j’explore avec passion les classiques du chaâbi, les rythmes gnawa et amazigh, ainsi que la musique aïta. En parallèle, je m’immerge dans la modernité en appréciant la trap marocaine et le hip-hop. Je reste également captivée par la scène contemporaine marocaine», soutient-elle.
Aujourd’hui, Neta Elkayam est sur le point de lancer un nouveau projet inspiré des femmes de l’Atlas, fusionnant ses racines avec des sons électro. Son prochain album «sort le mois prochain». Elle ajoute: «Je vais aussi participer à plusieurs manifestations artistiques dès septembre. Il y aura plusieurs chansons de différents styles.» Une promesse d’une mélodie future, où la passion de Neta pour son héritage continuera à résonner entre les frontières, unifiant cœurs et esprits.