Médersas mérinides, savoirs d’hier et aujourd’hui

Mouna Hachim.

ChroniquePour redonner vie et éclat à ces monuments, se trouvent des porteurs de compétences exceptionnelles, à savoir les maîtres artisans marocains…

Le 14/12/2024 à 11h00

Chaque visite dans une de nos cités anciennes est une occasion rêvée pour admirer ces authentiques temples du savoir que sont les médersas, universités islamiques de l’âge médiéval, tout à la fois témoins d’un cachet historique et civilisationnel, manifestation d’un savoir-faire artistique ancestral, éloge à la science et à la connaissance et vestige vivant face aux vicissitudes du temps qui passe…

Dès le franchissement de la porte d’entrée s’imposent à nous l’harmonie des proportions et des lignes; le jeu de lumière et ses symboles; le foisonnement ornemental mêlant tourbillon de zellige, plâtre ciselé, bois sculpté, encorbellements en muqarnas sous forme de stalactites et de nids d’abeilles; l’agencement architectural organisé autour d’une cour centrale à ciel ouvert, alliant dimensions esthétiques et fonctionnelles et offrant aux étudiants et au corps professoral un environnement propice à la méditation, aux échanges et, bien entendu, à l’apprentissage des sciences religieuses et profanes.

Nous voilà donc replongés plusieurs siècles en arrière, particulièrement durant le règne mérinide qui, sans en avoir le monopole, permit à ces institutions d’atteindre un essor sans égal et de s’imposer comme pôles d’attraction, hébergeant dans des cellules aux allures de cloîtres monastiques, des étudiants marocains issus de différentes contrées, citadines ou rurales, de même que des intellectuels en provenance d’Orient et d’Occident musulmans.

«Dans un laps de temps qui ne dépassa pas 84 ans (de 1272 à 1355), écrit Abdeltif El Khammar dans «Les médersas mérinides de Meknès», 21 médersas furent édifiées au Maroc par le pouvoir mérinide».

Il faut dire que cette dynastie zénète, chantre de l’orthodoxie sunnite malikite (qui avait eu à subir la réforme religieuse almohade), avait besoin de ces institutions pour enseigner la doctrine, former des cadres de l’Etat et préparer une élite intellectuelle dévouée à son règne. Le tout, dans un souci de légitimation religieuse qui manquait aux fondements de son pouvoir, car contrairement à ses prédécesseurs almoravides et almohades, elle ne portait pas de projet à caractère religieux ni ne se réclamait initialement d’un quelconque mouvement de réforme spirituelle.

Les Mérinides se sont ainsi imposés comme grands bâtisseurs et mécènes, fondateurs d’un grand nombre de médersas, de mosquées et de zaouias à travers le Royaume.

Parmi leurs édifices estudiantins célèbres: à Salé, la médersa d’Abou-l-Hassan jouxtant la Grande Mosquée, érigée sur trois niveaux, restaurée sous le Protectorat à partir de l’année 1921, puis après l’Indépendance, précisément en 2005 après des décennies de négligences.

Malgré sa petite superficie, elle est considérée comme un joyau de l’architecture mérinide, riche de ses décors géométriques et floraux, et de ses inscriptions calligraphiques en caractères coufiques, sculptées sur du plâtre ciselé ou sur du bois de cèdre.

Meknès n’est pas en reste!

Pour poursuivre avec le règne mérinide, la Médersa Bou-Inaniya est admirable depuis son portail à vantaux de bronze ciselé; la medersa des Adouls est actuellement le siège de la Rabeta dédiée à la psalmodiation du Coran alors que la Filaliya, datant de 1275, aujourd’hui centre de formation professionnelle relevant de l’entraide nationale, est appelée ainsi, en raison de l’installation d’étudiants issus du Tafilalet durant le règne alaouite, nommée aussi Médersa du Cadi en référence au juge Abou-l-Hassan al-Wancharissi qui y avait professé.

Que dire de la ville d’Oujda avec son école remontant à l’année 1296; Taza avec notamment la Hassaniya dont le linteau de la porte atteste de la splendeur; Marrakech et la fameuse Medersa ben Youssef, reconstruite en 1564 par le Saâdien Abd-Allah al-Ghalib…

Sans oublier tous ces collèges médiévaux disparus dans des villes comme Sebta Azemmour, Ksar Kebir, Safi, Aghmat, Anfa, cités tous dans le Musnad d’Ibn Marzouk.

Et bien sûr, il y a l’incontournable Fès!

Dans la capitale mérinide, dotée dès le milieu du 9e siècle de la prestigieuse Quaraouiyine, les médersas répondaient aux besoins incessants en salles de classe et en logements pour étudiants, faisant office de cités universitaires.

Hassan al-Wazzan, dit Léon l’Africain, en dit dans sa «Description de l’Afrique»: «Il existe dans Fez onze collèges d’étudiants, très bien construits, avec de nombreux ornements de mosaïque et de bois sculpté. Certains sont pavés de marbre, d’autres de majolique. Chaque collège contient quantité de chambres, tel en a cent et même plus, tel en a moins. Tous ont été construits par les divers rois mérinides.»

Au nombre de ces édifices se trouvent Seffarine, mère des médersas mérinides à Fès à laquelle le sultan avait adjoint une bibliothèque dotée de manuscrits islamiques cédés par le roi de Castille dans le cadre du traité de paix conclu en 1285.

La liste est longue avec la medersa Sahrij devant son appellation à son bassin central formé d’un seul bloc de marbre blanc en provenance d’Almeria; la Mesbahiya, en référence à Mesbah al-Yaslouti qui y enseignait la théologie; la Attarine, œuvre d’Abou-Saïd, décrite par Ibn Abi Zar’ dans son «Rawd al-Qirtas» comme «une merveille parmi les monuments laissés par ces souverains»…

De la non moins fabuleuse Bou-Inaniya dotée d’une chaire et d’un minaret, disait pour sa part Léon L’Africain : «Ce collège est traversé par un cours d’eau qui coule dans un petit canal dont le fond et les bords sont carrelés de marbre et de majolique. Il y a trois galeries couvertes d’une incroyable beauté autour desquelles des colonnes octogonales sont liées aux murs, colonnes ornées de diverses couleurs. Entre chaque colonne, les arcs sont revêtus de mosaïque, d’or fin et d’azur. (…)».

On serait tenté de dire que depuis, l’eau a coulé sous les ponts.

Mais si on ne peut contrôler le cours du temps, nous pouvons toutefois en atténuer les ravages.

Mes escapades récentes dans quelques régions du pays me permettent de réaliser l’ampleur des chantiers de mise à niveau des anciennes médinas, lancés en 2018 dans le but de valoriser leur patrimoine et de les mettre au service du développement socio-économique local.

Dans le cadre du programme de réhabilitation de 27 monuments historiques de Fès, il a été ainsi procédé à la restauration de cinq anciennes médersas de la ville (Mohammedia, Seffarine, Bou-Inania, Sbaïyine) ouvertes à des fins d’hébergement ou d’enseignement aux étudiants, notamment ceux du cycle terminal de l’université Al-Quaraouiyine, dans une perspective vivante et non figée dans un moule muséographique.

Pour redonner vie et éclat à ces monuments, se trouvent des porteurs de compétences exceptionnelles héritées de génération en génération, à savoir les maîtres artisans marocains dotés par l’Unesco du titre de «trésors humains vivants».

Par Mouna Hachim
Le 14/12/2024 à 11h00