Ce n’est pas un paradoxe. Être jeune, ça veut dire garder intacte la capacité de rêver, de développer des projets, de rester plein de sève et d’énergie.
C’est ce qu’on dit et c’est vrai.
Quand Lahcen Zinoun a publié son autobiographie («Rêve interdit», 2021), il est passé me voir chez moi pour en parler. Je m’en souviendrai toujours. J’étais cloué au lit à cause d’une vilaine fracture de la cheville. Alors on a plus parlé de ma cheville que de son livre.
Des fractures et des entorses, l’homme à la queue de cheval en a connu. Au pied et ailleurs, même dans le cœur. Il faut dire qu’il a choisi, très tôt, de gagner sa vie en dansant. Vous imaginez? Ce n’est pas le choix le plus politiquement correct, le plus socialement acceptable, quand on vient des quartiers des pauvres et que la famille et les proches poussent de toutes leurs forces pour vous voir médecin ou ingénieur.
Quand on nait pauvre et que l’on arrive à montrer de bonnes dispositions à l’école, on devient tout de suite le «messie», le sauveur. La famille et le derb entier attendent de vous ce miracle. Ils reportent leurs frustrations, leurs attentes et leurs déceptions sur vous. Il faut que vous les sauviez et que vous les vengiez.
Zinoun avait ce poids sur les épaules. En choisissant résolument la danse, il a déçu son père. Il l’a même blessé dans son amour-propre d’homme à l’ancienne, élevé à la dure, et qui a rangé la danse comme une représentation féminine, voire déviante, rien d’autre.
Mais ce père et beaucoup d’autres pères ne savaient pas, ne comprenaient pas, que la danse pouvait les venger et pour ainsi dire les sauver. Comment? En restaurant leur fierté et leur dignité.
Je ne vais pas raconter ici la vie de ce grand danseur et ce grand monsieur tout court, il l’a fait dans son livre qui prend désormais un air testamentaire. Si cela ne tenait qu’à moi, j’inscrirais la vie et les combats de Zinoun dans les programmes scolaires.
Parce que la vie et les combats de Zinoun sont une formidable leçon d’espoir, de courage et de détermination. Et c’est des valeurs comme ça que l’on a envie d’inculquer aux jeunes pousses qui feront le Maroc de demain.
Le combat, c’est contre la stigmatisation, le préjugé social et cette bonne vieille hogra qui nous colle à la peau.
Et l’espoir, c’est cette incroyable capacité de se relever, de s’accrocher à son rêve, de transmettre sa passion. Et de toujours garder la tête haute.
Pleurer, danser, panser ses blessures, réduire ses fractures et entorses, surmonter ses peurs et ses peines. Et continuer. Jusqu’au bout.
La plus belle victoire de Lahcen Zinoun, un personnage extrêmement inspirant, amoureux fou de la vie et de l’amour, est d’avoir offert de l’espoir et des raisons d’y croire à des Marocains et des Marocaines qui ne les connaissaient pas forcément. Son exemple, c’est-à-dire sa vie et son œuvre, lui survivra.