Le moment est historique tant l’enjeu que représente l’inscription du caftan sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité à l’Unesco n’a cessé de croître, dépassant jusqu’à sa dimension culturelle. Au-delà de sa qualité de vêtement d’apparat, le caftan, ainsi que les savoir-faire qui l’entourent et le composent, sont au cœur d’une véritable guerre menée par le régime d’Alger à l’encontre du Maroc dont l’issue recherchée est l’appropriation culturelle d’un patrimoine marocain vieux de 12 siècles.
Pour ce faire, tous les moyens sont bons et peu importe s’ils versent dans l’illégalité. Du vol d’images d’artisans ou de caftans marocains pour «documenter» un soi-disant artisanat du caftan en Algérie, à la narration d’une histoire patrimoniale cousue de fil blanc, le Maroc doit, depuis de (trop) nombreuses années, perdre un temps précieux à lutter contre une véritable machine propagandiste mensongère qui, en mars 2023, s’est soldée par une tentative éhontée d’appropriation culturelle du caftan ntaâ de Fès, par le biais d’une photo glissée dans le dossier algérien portant sur «Le costume féminin de cérémonie dans le Grand Est de l’Algérie: savoir-faire associés à la confection et à la parure de la Gandoura et de la Melehfa», dans le cadre de son inscription en 2024 sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Un pays ne pouvant procéder à l’inscription d’un élément qu’une fois tous les deux ans, le Maroc a dû prendre son mal en patience depuis 2023, année au cours de laquelle il avait déjà procédé à l’inscription du malhoun. Mais aujourd’hui, l’attente prend fin et avec la présentation de sa candidature, le Maroc va enfin pouvoir rétablir la vérité historique sur cet habit ancestral marocain.
De l’importance de la sauvegarde
Les enjeux liés à l’inscription du caftan sont nombreux pour le Maroc, Etat partie à la convention de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, adoptée en 2003. «L’inscription sur la liste représentative permet aux Etats parties d’obtenir de la visibilité à l’échelle internationale, de montrer le patrimoine culturel immatériel qui existe sur leur territoire et qui est important à leurs yeux, de lui donner de la visibilité et par ricochet donner de la visibilité à l’Etat lui-même», explique Ahmed Skounti, anthropologue et expert en patrimoine culturel à l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (INSAP), consulté par Le360.
Ainsi, au-delà de la simple inscription d’une candidature sur la liste représentative, l’enjeu s’avère aussi économique sur le long terme, car à l’heure où le caftan marocain représente un véritable levier pour de nombreuses communautés qui en vivent à travers le pays, son inscription comme patrimoine culturel consolide les efforts fournis par le Maroc pour sa sauvegarde et permet ainsi d’asseoir le développement des métiers qui composent sa fonction et leur pérennité.
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«L’objectif c’est de sauvegarder. Bien entendu, les communautés, les groupes et les individus qui sont directement concernés par une candidature attendent que l’inscription ait un impact positif sur leur travail. On est en droit de l’espérer. C’est le rôle de l’Etat, des pouvoirs publics, de mettre en place des politiques qui permettent que ceux qui sont directement concernés par le caftan récoltent l’impact positif qui peut provenir de cette inscription, y compris en termes d’amélioration du niveau de vie, de créations de revenus», poursuit Ahmed Skounti. Et de rappeler qu’il revient aussi aux politiques publiques de veiller à ce que le caftan ne soit pas sujet à une surcommercialisation, afin qu’il ne perde pas «son sens culturel, patrimonial, les fonctions sociales pour lesquelles il a été créé au départ dans une région, au sein d’une communauté».
Pour le Maroc, cette inscription n’est donc pas une reconnaissance de la marocanité du caftan, insiste quant à lui Mustapha Jellok, directeur du patrimoine culturel au ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication. «Nous n’avons pas besoin de l’Unesco ou d’une autre entité pour savoir que le caftan est marocain mais cette inscription fera office de reconnaissance de la viabilité du caftan comme patrimoine vivant du Maroc».
Le second enjeu s’avère quant à lui politique alors que ça ne devrait pas être le cas. «L’inscription du caftan pourrait très bien se passer comme n’importe quelle autre candidature, mais le fait est qu’elle arrive à un moment de tension politique dans la région», explique l’anthropologue. Or, «il n’est pas dans l’objectif de l’inscription et des candidatures de susciter une quelconque crispation, ou tension entre des Etats, des communautés», poursuit Ahmed Skounti, déplorant que le patrimoine immatériel soit impacté par ce type de tensions.
Cette inscription à l’Unesco ne permettra pas au Maroc pour autant de lutter contre les tentatives d’appropriation culturelle qui découlent de ces tensions, car «la protection juridique ne se fait pas à l’Unesco», rappelle Mustapha Jellok. La protection juridique du patrimoine culturel marocaine étant assurée par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), avec laquelle le Maroc a signé un protocole d’accord dans le cadre duquel sont notamment protégés le caftan et le zellige. Il n’en demeure pas moins que du côté des créateurs marocains de caftans, qui subissent de plein fouet ces tentatives de dépossession, on attend avec impatience cette inscription à l’Unesco.
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«Pour nous créateurs marocains, c’est une reconnaissance de notre patrimoine, de notre héritage, de notre travail. Cette inscription fera office de label pour nous», se réjouit Albert Oiknine, créateur marocain de caftans. Au sujet de l’appropriation culturelle qui touche le caftan, le créateur se montre ferme. «Ce n’est pas parce qu’on s’inspire que ça nous appartient», appelant au respect du patrimoine des uns et des autres. «Ce que nous créons est d’abord porté par la femme marocaine, ensuite par les femmes à l’international. Elles se sont adaptées à notre mode comme nous nous sommes adaptés à la leur, mais nous avons gardé notre histoire, notre savoir-faire et notre identité. Certains créateurs font de la mode beldie, d’autres font des caftans à l’ancienne, d’autres encore les modernisent. Chacun a sa source d’inspiration. Mais quelle qu’elle soit, elle est originaire du Maroc avec un savoir-faire marocain», affirme Albert Oiknine.
L’Algérie aux premières loges d’une débâcle annoncée
Ces tensions avec l’Algérie pourraient-elles entraver le bon déroulement du vote du comité intergouvernemental en faveur de l’inscription du caftan sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité à l’Unesco? Rien n’est moins sûr, car de l’avis d’Ahmed Skounti et de Mustapha Jellok, tous les signaux sont au vert. En effet, l’examen réalisé par l’organe d’évaluation du comité du patrimoine culturel immatériel est d’ores et déjà visible sur le site de l’Unesco, tout comme la recommandation formulée à l’endroit de la candidature marocaine. Il est ainsi annoncé qu’elle «remplit les cinq critères requis». Par ailleurs, explique Ahmed Skounti, à partir du moment où «l’organe d’évaluation qui étudie les candidatures avant que le comité prenne la décision, recommande l’inscription d’un élément sur la liste représentative, il n’y a aucun souci à se faire sur son inscription», car «sauf exception, en général, le comité suit les recommandations de l’organe d’évaluation».
De son côté, Mustapha Jellok, qui souligne la bonne préparation du dossier, s’attend toutefois à une intervention de l’Algérie lors du vote qui se déroulera entre le 8 et le 13 décembre. En effet, le hasard faisant bien (ou mal) les choses, il se fait que l’Algérie se trouve dans une position délicate. Elle fait partie cette année des membres qui composent le Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel pour la période 2024-2028. Elle se retrouve ainsi dans la même position que le 31 octobre dernier, à New York, où en tant que membre non-permanent du Conseil de sécurité de l’ONU pour le mandat 2024-2025, elle a dû assister impuissante à l’adoption d’une résolution historique qui consacre l’autonomie sous souveraineté marocaine.
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Ce scénario risque fort de se reproduire la semaine prochaine, avec l’inscription du caftan marocain et de ses savoir-faire (lesquels sont extrêmement bien détaillés dans le dossier de candidature) sur la liste représentative, sous les yeux impuissants du régime algérien. Car de la même manière qu’elle ne dispose pas de droit de veto au Conseil de sécurité en sa qualité de membre non-permanent, l’Algérie n’a pas non plus de droit de veto au sein du comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Car le Comité prend ses décisions par consensus autant que possible, mais vote si nécessaire, chaque État membre ayant une voix. «L’Algérie est en droit de soulever des interrogations sur les éléments qu’elle estime non conformes aux critères requis, mais nous avons tout autant le droit d’y apporter des réponses. Et si une question sur la forme ou sur le contenu est posée, nous répondrons. Nous avons tous les moyens pour défendre ce dossier», insiste ainsi Mustapha Jellok qui s’attend à ce scénario de la part d’un pays «qui veut politiser la convention et son rôle dans le comité intergouvernemental».
Autre sujet de crispation côté algérien, l’élection du Maroc en novembre 2025 au Conseil exécutif de l’Unesco pour le mandat 2025-2029, en obtenant la première place du groupe arabe avec 146 voix, devant la Jordanie et l’Égypte, tandis que l’Algérie qui briguait ce poste a été éliminée du scrutin, n’ayant recueilli aucune voix en sa faveur. L’Algérie, qui fait partie du groupe des pays arabes représenté par le Maroc, se trouve donc dans une situation très délicate car de l’avis du directeur du patrimoine, «on n’a jamais vu un pays s’opposer à une candidature portée par un Etat membre du même groupe». Il est ainsi fort probable que poussée par la haine qu’il nourrit à l’endroit de son voisin, le régime d’Alger en oublie cette règle d’or pour faire valoir ses revendications, lesquelles s’inscriront de surcroît à l’encontre des recommandations de l’organe d’évaluation. Toujours est-il que cette énième tentative à laquelle il convient de s’attendre risque fort de n’avoir pas plus d’effet qu’un coup d’épée dans l’eau.











