Le pitch: Katherine, une romancière solitaire en panne d’inspiration, débarque au Maroc dans une idyllique retraite pour écrivains afin de surmonter le syndrome de la page blanche et ne tarde pas à nouer des liens inattendus avec le jeune Owen au milieu de la terre marocaine comme fabuleux décor…
Si cette comédie romantique, intitulée Lonely Planet en référence au célèbre guide de voyage, sortie en octobre 2024 sur Netflix, incarnée par Laura Dern et Liam Hemsworth, réalisée par l’Américaine Susannah Grant, est sans grande prétention cinématographique -quoique comprenant tous les ingrédients susceptibles de ravir les amateurs du genre-, l’image du Maroc n’en reste pas moins saisissante.
Marrakech, Essaouira, Chefchaouen, montagnes du Rif ou de l’Atlas, souks bigarrés, kasbahs majestueuses, étendues étincelantes de plages atlantiques avec des plans de Kitesurf ou de planche à voile... tout y est -ou presque!- A tel point que le Maroc peut y être qualifié de vedette principale malgré quelques clichés inévitables.
Pour donner un autre son de cloche que notre seule perception de Marocains, là-dessus forcément subjective, les avis des spectateurs laissés sur les sites spécialisés résument l’essentiel:
- «L’histoire est terriblement banale. Reste les paysages et le soleil!».
- «Le Maroc splendide est mis en valeur et rarement aussi bien filmé dans une fiction, autant les paysages que son côté urbain époustouflants de beauté et d’humanité. C’est même presque une publicité touristique…».
Nous sommes là au cœur du sujet avec l’impact des médias visuels sur la médiatisation des espaces aux quatre coins du globe et l’essor sans précédent de la tendance «ciné-tourisme» facilitée par la multiplication des plateformes de streaming.
La création de mythes au cinéma autour de certains lieux ne date évidemment pas d’aujourd’hui et, avec, au-delà d’une simple visite touristique, l’appropriation des espaces pour devenir soi-même un protagoniste à part entière.
Que l’on se souvienne de Et Dieu… créa la femme!, réalisé par Roger Vadim dans les années 50, mettant en vedette Brigitte Bardot à l’aube de sa carrière et propulsant par la même occasion sous les feux de la rampe le petit port de pêche de Saint-Tropez, devenu dès lors une icône mondiale.
Plus récemment, l’Irlande du Nord s’est bien auto-proclamée «territoire de Game of Thrones» où un touriste sur six, d’après les estimations de l’office du tourisme, se rend pour visiter les lieux de déroulement de la série fantastique (tournée aussi au Maroc, notamment à Ouarzazate et à la Kasbah Aït-ben-Haddou); tandis que la saga littéraire et cinématographique Twilight sur le monde des vampires a transformé la bourgade de Forks, dans l’Etat de Washington, en phénomène touristique et que la diffusion de la trilogie Le Seigneur des anneaux a permis à la Nouvelle-Zélande d’enregistrer deux fois plus de touristes sur les traces du continent fictif, la Terre du Milieu imaginée par l’écrivain britannique Tolkien.
Depuis la naissance du septième art, le Maroc a, pour sa part, exercé un attrait irrésistible et offert un cadre idéal pour des tournages, appuyé plus tard par la création des studios d’Ouarzazate, sortes de Cinecittà du désert, quoique non exempts non plus de représentations stéréotypées et d’éloges esthétiques et exotiques de la différence.
Juste trois ans après avoir déposé le brevet du cinématographe et la projection de L’Arroseur arrosé, première fiction de l’histoire du cinéma jouée par des comédiens, une équipe de Louis Lumière tournait au Maroc, en 1897 (d’autres disent 1895), les séquences du film Le Chevrier Marocain.
Les imaginaires bercés par l’aventure coloniale ont depuis lors produit des œuvres aux titres évocateurs : Mektoub en 1919, Feu en 1926, Baroud en 1932…
Marqués tout autant par ce climat de guerre mais également par des amours aux allures de tragédie racinienne, Morocco (ou Cœurs brûlés) de Josef von Sternberg, avec Marlene Dietrich et Gary Cooper, représentait un Maroc fantasmé, tel qu’imaginé aux USA durant les années 30, reconstitué dans les studios de la Paramount et dans la vallée de San Fernando.
Il vient nous rappeler, sur fond de guerre et de résistance, le cultissime Casablanca de Michael Curtiz avec Humphrey Bogart et Ingrid Bergman dont aucune des scènes n’a été tournée au Maroc mais, pour la plupart, dans les studios de la Warner Bros.
On ne compte plus les œuvres tournées totalement ou partiellement au Maroc dans différents registres possibles et imaginables: drames avec Othello d’Orson Welles ou Un thé au Sahara de Bernardo Bertolucci; monde biblique avec entre autres exemples, Marie de Nazareth ou La dernière tentation du Christ de Martin Scorcèse; Histoire depuis Lawrence d’Arabie en passant par Kundun; guerre avec la saga Gladiator, Kingdom of heaven, et, toujours avec Ridley Scott, La chute du faucon noir dans lequel le quartier Sidi Moussa à Salé s’est mué en centre-ville de Mogadiscio; action et thriller avec Inception de Christopher Nolan; aventure avec Le Diamant du Nil ou l’Homme qui voulut être roi; comique avec Astérix et Obélix…
La liste est encore très longue.
Malgré les retombées incontestables de telles productions sur le Maroc, il est permis de se demander pourquoi nos paysages devraient se contenter de servir de copies d’autres destinations en confondant Orient et Occident musulmans tout en gommant les spécificités culturelles.
Aux côtés des sombres destins chers à un certain cinéma social, et sans pour autant tomber dans des plaidoyers démagogiques, n’est-il pas temps pour nous, Marocains, d’explorer nous-mêmes les innombrables potentiels d’une civilisation millénaire, mettant en avant nos personnalités iconiques et déployant des fresques vivantes au milieu de notre patrimoine bâti et de nos éblouissants panoramas naturels?
A ceux qui arguent des difficultés, notamment financières (reléguées si l’on devait les croire au rang de l’impossible), liées à ce genre de productions cinématographiques qui renouent avec les autres arts, la peinture ou la littérature, sans oublier l’Histoire, cette phrase en réponse, tirée d’Alice au pays des Merveilles: «Le meilleur moyen de réaliser l’impossible est de croire que c’est possible».