Gad Le Magnifique

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueSamedi soir au complexe sportif de Casa, il y avait foule: la jauge de 4.200 places était pleine comme un œuf. Le tout Casa! Gad était à son meilleur. Il était chez lui, sur une scène le rendant heureux. Ce bonheur, il était aussi dans la salle où le public n’avait cessé de l’applaudir et de rire. C’était une fête de famille.

Le 29/09/2025 à 11h00

Il est l’humoriste qui arrive en tête de tous les comiques en France, au Maroc et probablement au Canada où il a vécu.

Pour Gad se produire sur la scène casablancaise est une sorte d’épreuve heureuse. Il sait qu’il est particulièrement attendu et que les Casaouis sont très exigeants. Rien à voir avec un show à Clermont-Ferrand ou à Liège.

Samedi soir au complexe sportif de Casa, il y avait foule: la jauge de 4.200 places était pleine comme un œuf. Le tout Casa! Gad était à son meilleur. Il était chez lui, sur une scène le rendant heureux. Ce bonheur, il était aussi dans la salle où le public n’avait cessé de l’applaudir et de rire. C’était une fête de famille.

Faire rire est l’un des métiers les plus difficiles. Faire pleurer, il n’y a pas plus facile. Or, Gad a pour mission de faire rire les foules. Un de ses fils lui a demandé: «C’est ton métier de faire rire les gens?». Oui, Gad nous fait rire depuis trois décennies. Il n’a pas cessé de se renouveler, de changer, de traquer des comportements que nous ne voyons pas.

Tel un romancier, Gad est témoin de son époque. Rien ne lui échappe. Il observe, scrute, note puis écrit. Ces derniers temps, il écrit avec l’humoriste Romain Freyssinet, un génie du langage et des situations surréalistes. À eux deux, ils font un tabac. Ils visent juste. Ils partent d’un fait insignifiant et en font une affaire grandiose. Finis le blond et le bledard. Finis Madame Tazi et les nénuphars. Gad ne cesse de se renouveler. Il nous surprend tout le temps. Il faut le voir monter dans une voiture imaginaire appartenant à un clochard, rouler à l’aventure, et arriver nulle part. On le croit, on voit la voiture et on suit le dialogue fou entre lui et cet homme improbable.

Il prend le réel avec les pincettes d’un chirurgien qui n’oublie pas de fermer les blessures. Il dit ce qu’il faut dire, et sa bienveillance l’emporte assez vite et vient renforcer le rire.

Le rire, disait Spinoza, c’est l’expression de la joie. Rabelais dit la même chose en ajoutant que le rire est provoqué par des situations incongrues.

Certes, le rire est le propre de l’homme. Parfois, on en doute quand on voit certains hommes politiques qui disent n’importe quoi et surtout faire n’importe quoi. Face à Poutine, personne n’a envie de rire. Rigide, il provoque l’effroi. Mais là, c’est une autre histoire.

Tel un bon romancier, Gad invente tout en étant en permanence en quête du moindre faux pas, de la moindre faiblesse, de la moindre excentricité. Il joue tous les rôles, prend l’accent de l’un, les mimiques de l’autre, surtout quand il s’adresse aux «zautorités».

On a dit que le rire est l’expression d’une supériorité sur les autres. Mais l’humoriste a le talent de ne pas laisser s’installer ce sentiment dans le public. Le rire collectif est une chose impressionnante. Toute une salle rit aux éclats au même moment. Pourtant certains ne rient pas pour la même chose.

«Gad a fait de Casa sa source d’inspiration. Sa marocanité est affirmée avec force et naturel. C’est l’humoriste le plus aimé au Maroc et quand il raconte les amis musulmans de sa jeunesse, on se rend compte combien les juifs marocains sont totalement intégrés. »

—  Tahar Ben Jelloun

Rire c’est entretenir une bonne santé. Le corps et l’esprit en ont besoin. D’où la nécessité de ceux comme Gad qui nous font rire. Ils ne se moquent pas des autres, mais critiquent des comportements qui sont, au fond, ridicules. Nous ne nous en rendons pas compte. Mais l’œil de Gad est là. Il enregistre. Il classe, il cuisine. Souvent, il nous renvoie un miroir. Et pour ne pas le croire, on l’efface en riant. Le miroir se balade et devient une flamme qui s’érige avec force avant de s’éteindre.

Le fait que son père a été mime l’aide parfois dans ce qu’il fait. Le sketch le plus hilarant est pour moi l’histoire de l’enterrement de Nicole, la meilleure amie de sa mère. Au moment de son incinération («crémaillère!»), elle lui fait signe pour lui dire qu’elle ne reste pas dans la salle parce qu’elle ne supporte pas que son amie soit brûlée. Gad fait le geste des brochettes sur le feu. (Il ne l’a pas joué le soir du 27).

La manière de raconter comment la directrice d’école fait des gestes en croisant les bras pour signifier avec des mimiques que ça ne va pas, est très drôle. Il en profite pour régler un compte et évoque le plagiat. Magistral. C’est la force de l’humour et de la dérision qui vengent la bêtise et la jalousie de certains. Il dit avoir la liste de ceux qui l’avaient laissé tomber. Il vaut mieux en rire.

Ayant dépassé la cinquantaine, Gad nous fait part de ses inquiétudes métaphysiques. Il traite les trois religions monothéistes avec le même humour et laisse l’espoir pointer au bout du chemin, là où surgit la lumière.

Le show se termine par cet espoir. Les mots sont simples et justes. On n’a plus envie de rire, mais de réfléchir. Il devient sage.

Dans le spectacle du samedi 27 septembre, il a pas mal improvisé. Il a fait de Casa sa source d’inspiration. Sa marocanité est affirmée avec force et naturel. C’est l’humoriste le plus aimé au Maroc et quand il raconte les amis musulmans de sa jeunesse, on se rend compte combien les juifs marocains sont totalement intégrés. Et le rire vient le confirmer, car ce juif est aimé, adoré par tous les publics. Sa générosité est évidente et fait de lui, l’enfant du pays, qui porte le Maroc au cœur un peu partout dans le monde.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 29/09/2025 à 11h00