On connaissait l'éminent écrivain. Désormais, il faudra le célébrer comme un peintre. Tahar Ben Jelloun a commencé à peindre par plaisir, au cours de moments récréatifs qui le reposaient de son activité rigoureuse d’écrivain. Puis il a été encouragé à exposer ses peintures. Et de fil en aiguille, il a gagné en maturité, en liberté et a peu à peu affirmé l’expression d’une peinture personnelle, colorée, qui se doit avant tout d'être une fête pour les yeux.
C’est ce que donne à voir la très peu anecdotique exposition de Tahar Ben Jelloun à l’Institut du monde arabe. Le vaste espace d’exposition du sous-sol a été confié à l’artiste dont il faut désormais parler comme d'un artiste-peintre. L’IMA n'est d'ailleurs pas le seul à célébrer l’homme puisque la galerie Patrice Trigano expose une belle série, intitulée Abouab (les Portes), jusqu’au 25 novembre à Paris.
Ceux qui s'attendaient à un rendez-vous mondain ont été surpris par la force et la cohérence des œuvres exposées (même si beaucoup de personnalités ont fait le déplacement). Il n’y a pas de révolution formelle, pas de discours contemporain pour expliquer avec des mots ce que les yeux peinent à voir. Il n’y a que le plaisir de peindre et de célébration des couleurs.
On perçoit l’influence d’un peintre comme Matisse qui a séjourné à Tanger, une ville chère au cœur de Ben Jelloun. À l’instar de Matisse, l'écrivain fait un feu d’artifice de couleurs. Et il a un instinct pour les tonalités justes. Même quand il fait le choix de couleurs vives, elles sont toujours chaleureuses, jamais criardes.
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Pourtant, toutes ses œuvres ne sont pas un hymne à la lumière et aux couleurs harmonieuses. Un tableau jure sur le reste. Couvert de coulures noires, il porte une inscription de triste mémoire : "Paris, le 13 novembre 2015". Tahar Ben Jelloun était en train de peindre cette toile quand il a reçu un coup de fil de la part d’un proche qui lui a demandé si ses enfants étaient au Bataclan. L'artiste a allumé la télévision et pris la mesure de l’horreur. Il a réagi à sa façon en déversant de la peinture noire sur sa toile.
Dans le catalogue d’exposition, intitulé «J’essaie de peindre la lumière du monde», publié aux éditions Gallimard, Jack Lang, président de l’IMA, écrit : «Avec ses crayons, ses feutres et ses pinceaux, Tahar Ben Jelloun dit son Maroc sur un mode filial et tendre, ce Maroc qui a nourri d’autres peintres, aussi bien natifs qu’étrangers.» En effet, les motifs qui peuplent les toiles de Tahar Ben Jelloun sont empruntés au Maroc. Mais il n’y a pas de nostalgie ou de regrets. Seule existe la célébration de la couleur et de la lumière. Et cette célébration a partie liée avec le présent.
Les invités au vernissage en sont sortis avec le sentiment qu’ils étaient venus pour un écrivain et qu’ils ont trouvé un peintre. Un peintre timide encore peut-être, mais sans complexe et pratiquant la peinture avec une liberté qui va à l’essentiel. Les rencontres à l’IMA avec Jean-Claude Carrière, le samedi 21 octobre, et avec Bernard Pivot, le dimanche 22 octobre, furent un grand succès public. Avec son sens de la formule, Bernard Pivot a comparé l’exposition à un deuxième Goncourt attribué à Tahar Ben Jelloun. Un Goncourt qui salue cette fois-ci l’œuvre du peintre.