Ecouter Claudia Cardinale se confier, raconter son enfance, ses souvenirs de Visconti, de Fellini, des anecdotes avec Alain Delon, Jean-Paul Belmondo, Sophia Loren et Brigitte Bardot : un moment d’une intensité rare où l’on peut à tout instant passer du rire aux larmes. Dans le patio de la Mamounia, l’actrice parle avec une spontanéité désarmante. Rayonnante, le regard illuminé d’une vive présence au monde, à l’autre, le sourire en offrande, elle commence par revenir sur son enfance en Tunisie, le pays où son grand-père s’était installé pendant la guerre et où vivront trois générations de sa famille. Elle parle avec tendresse de ce pays resté dans son coeur, de son père, musicien et qui, comme elle, ne parlait pas beaucoup lorsque sa mère était, au contraire, une femme pleine de vie. Elle évoque avec la même tendresse teintée d’humour la petite fille qu’elle était : "Quand j’étais petite, j’étais un vrai garçon manqué. Ma sœur, Blanche, était une jolie blonde aux yeux bleus. Moi, j’étais persuadée que j’étais laide". Celle qui sera, à 15 ans, proclamée la plus belle Italienne de Tunis et incarne le summum de la féminité dans toute sa splendeur préférait donc, petite, passer son temps avec des garçons qu’elle aimait à défier. "J’aimais me bagarrer", confie ainsi l’artiste en se remémorant la petite sauvageonne qu’elle était : "Je me souviens d’ailleurs que, lorsque je prenais le train pour aller à l’école, je sautais du train en marche", ajoute-t-elle en éclatant de rire.
De la garçonne à la divaUne petite sauvageonne casse-cou mais peu expansive, pourtant, secrète et idéaliste. D’ailleurs, Claudia Cardinale aime à dire qu’elle pense avoir une voix rauque parce que, petite fille, elle ne parlait pas et que donc ses cordes vocales ont dû en pâtir. Et la petite fille rebelle et secrète, qui voulait devenir enseignante dans le désert -ce qui, aujourd’hui, fait s’esclaffer, au souvenir de ce rêve qu’elle nourrissait, l’actrice qui dit qu’elle devait être folle- était loin de se douter qu’elle deviendrait une reine de beauté et une icône du 7ème art.
Bourrée d’humour, Claudia Cardinale parle avec bonheur, sans jamais sombrer dans le pathos. Même quand l’émotion pointe, elle est de beauté et d’amour. Comme quand elle se souvient de ce moment où "les anglais sont arrivés. J’étais avec ma sœur. En voyant deux petites filles, ils ont pensé à leurs enfants, qu’ils avaient quittés. Ce sont des marins qui étaient partis en laissant leur famille derrière eux. Ils nous ont prises dans leurs bras, nous ont serrées très fort, en pleurant". Et d’ajouter que ces marins avaient été touchés de voir des enfants qui les consolaient un peu de l’absence des leurs : au point, ajoutera-t-elle dans un nouvel éclat de rire, "qu’ils ont offert plein de nourriture à nos parents". Nous pourrions continuer longtemps à parler de Claudia Cardinal. De ses rôles sous la direction de Visconti qui, confie-t-elle, "travaillait sans script", de ses mémoires d’un Fellini qui, au contraire, "rassemblait tout le monde autour d’une table pour répéter", de son amitié avec Brigitte Bardot, "la plus belle", dira-t-elle, de ses amours réfrénées avec des Apollon du cinéma car, glissera-t-elle encore en riant, "je n’aime pas mélanger travail et amour".
Nous pourrions continuer longtemps. Mais nul doute que nous aurons bientôt l’occasion de reparler de cette merveilleuse actrice qui travaille en ce moment sur de nouveaux projets et nous prépare de belles surprises. Nul doute que nous aurons l’occasion de revoir, par ici, cette femme saisissante de beauté, de tendresse et d’humour. Car Claudia Cardinal reviendra au Maroc : "Je suis souvent venue ici. Et j’aime les gens de ce pays", nous confiera-t-elle en effet.