Un photographe. Un poète. Un regard qui porte la griffe d’une âme dont la force sensible vous prend à la gorge et à la chair comme une flambée d’amour ou de vitriol. On en ressort étrangement aussi brisé que traversé d’un étrange, frissonnant, sentiment de renaître au monde dans ce démembrement. De renaître à l’essence du monde, de ses choses, de ses hommes, de son souffle, de ses mémoires aux croisées des vents et des lumières tremblant et respirant et suffoquant les souffles des temps. La question du parti pris du noir et blanc, chez cet artiste, ne se pose même pas, tant nous sommes dans la fulgurance de l’impact, du rapt soudain, aussi brutal que vertigineux, des sens, happés par quelque chose de l’éruption d’une substance insensée, d’un cri étranglé ou d’un cœur suffocant dont les silences tonnant sous la peau fusent soudain au monde. Percutants. La peau des hommes, la peau des pierres, la peau du ciel et des miroirs. Et nul besoin de l’habit des couleurs, qui s’exilent d’elles-mêmes, dans cette résurgence de l’irrévélé.
Né à Paris en 1970, d’une mère américaine et d’un père Algérien, Aurèle Andrews Benmejdoub vit aujourd’hui à Tanger. Il a effectué, après son baccalauréat, des études de droit social et de psychologie clinique et psychopathologie, avant de travailler comme éducateur et de s’engager dans l’aide sociale à l’enfance et une carrière au tribunal de Bobigny. Mais une autre soif vibre en lui. Une soif de monde et de mondes, qu’il assouvira dans le voyage, carnet et objectif au bout des doigts, renommant le monde au gré d’autres mots, fixant ses tremblées, ses sursauts, ses brisures, sa beauté à l’épreuve de son regard offert comme une déchirure ouverte à toutes les craquelures.
Le beau mensonge, les fleurs de l'ombre
"La photo est présente depuis toujours chez moi, nous confiera d’ailleurs l’artiste, mais en périphérie. Un de mes oncles était photographe et, tout petit, j'étais passionné par le travail que je le voyais accomplir. Surtout la phase du développement et le moment magique du bac révélateur. J'ai commencé à prendre des photos vers l'âge de huit ans et, déjà, à ce moment là, j'étais dans le décalage. Je n'ai effectivement jamais cherché à faire de "belles" photos mais plutôt des photos étranges, dérangeantes presque. Ensuite, je ne me suis plus du tout intéressé à l'image pendant de longues années, happé que j'étais par la lecture et la littérature, et je trouvais bien pauvre la "représentation" concrète par rapport à tout les univers possibles offerts par les livres. C'est quelque temps avant d'arriver à Tanger que le virus m'a repris, en 2010. Je me baladais dans Paris et, pour la première fois depuis des années, j'ai trouvé la ville belle et, aussi, équivoque et étrange dans ses recoins. J'ai donc décidé de la prendre en photo. Les progrès du numérique ont fait qu'il était beaucoup plus simple de donner le rendu que je voulais, de superposer de flouer, de "mentir" en fait sur l'image : souvent mes photos ne sont que mensonge, bribe d'un endroit croisé avec un autre… C'est cela qui me plait et me touche dans la photographie, pas tant de garder un souvenir précis d'un moment mais comme le fait la mémoire, l'arranger à ma façon, à la manière dont j'aimerais l'avoir vu ou dont j'aimerais qu'il soit, ou n'aimerais pas d'ailleurs. Ensuite il y a eu Tanger, ce grand hasard que j'aime…".Le monde à l’épreuve abrasive d’un regard. L’image simulant désordre de la mémoire. L’art, dans sa frappante vérité, celle qui lui donne son sens. Le beau mensonge.




