Ah, le sexe!

Karim Boukhari.

ChroniqueFaut-il le rappeler: le sexe fait partie de la vie et du cinéma. Y compris au Maroc, n’en déplaise aux inquisiteurs et aux inconditionnels de l’art propre, sans aspérité, ni valeur ajoutée.

Le 13/12/2025 à 09h00

Le seul film marocain présenté en compétition officielle au festival de Marrakech, tenu récemment, s’appelait Derrière les palmiers. Même s’il a été oublié au palmarès, le film reste une belle et forte proposition de cinéma, qui bouscule le confort du spectateur et renvoie une image dure de la société marocaine. Il devrait cartonner en salles, si quelqu’un osait le distribuer au Maroc. Ce quelqu’un existe-t-il?

Laissez-moi vous en dire un peu plus. C’est l’histoire d’un jeune Tangérois qui rêve de partir en Europe. Il est amoureux d’une bent nass à qui il a promis le mariage et qui est prête à tout lui offrir en retour. Mais quand une Française, riche, libre, belle, entre dans sa vie, tout vacille. Le jeune homme doute, s’égare, se raconte des mensonges. Et il perd pied…

Meryem Benm’Barek, déjà remarquée avec Sofia (Un Certain Regard, Cannes 2018), a construit un film malin et cruel à la fois, qui commence comme une comédie ensoleillée avant de virer au drame. Le tout avec une précision clinique qui ne manquera pas de rappeler aux cinéphiles Match Point, le classique de Woody Allen (2005): même tension insoutenable, même glissement moral, même présence d’un choix impossible qui ronge un homme de l’intérieur.

On y retrouve plusieurs thématiques douloureuses: les blocages et les «malentendus» qui rongent les couples mixtes et finissent par les détruire de l’intérieur, les illusions d’ascension sociale, l’amour comme fruit défendu et valeur monnayable, le racisme ordinaire, la prédation économique, le fantasme européen, l’hypocrisie sociale… Et le sexe, pardi! Un sexe filmé sans complaisance, mais sans honte non plus.

Si le film portait la signature d’un réalisateur européen ou américain, la presse et les soi-disant «spécialistes» auraient applaudi des deux mains. Mais comme il porte la signature d’une Marocaine…

À Marrakech, certains spectateurs n’étaient pas venus voir ce beau film marocain. Ils prenaient des captures d’écran comme on cueille des preuves destinées à un tribunal d’inquisition. Le film ne les intéressait pas, ils étaient uniquement là pour “mater” et pour récolter les pièces à conviction. Et on ne va pas tarder à comprendre pourquoi. Le lendemain, une partie de la presse marocaine criait au scandale en assimilant le film à un produit pornographique, automatiquement destiné à la poubelle.

Voilà comme un film courageux, profondément ancré dans la réalité marocaine, a été dévoyé, pour la simple raison qu’il a abordé l’une des thématiques les plus importantes du cinéma actuel: la sexualité. Voilà où se situe désormais le «niveau» d’une bonne partie de la presse marocaine, prompte à jouer aux inquisiteurs, liberticide en diable, incapable de pousser le Schmilblick dans le bon sens.

Voilà enfin comment un excellent film marocain risque d’être célébré en Europe et invisibilisé ici. À moins qu’un courageux distributeur…

Par Karim Boukhari
Le 13/12/2025 à 09h00