Il faut dire que ce n’est pas la première fois que les personnalités politiques, qu’elles soient officielles ou «seulement» élues, courent les événements pour être aux premières loges.
À ce propos, je n’ai jamais compris, ou plus exactement je n’ai jamais admis pourquoi à chaque grand événement artistique dans notre pays, tant que ces “officiels” ne sont pas arrivés, les invités sont obligés d’attendre, parfois très longtemps, avant de voir l’événement démarrer.
Et quand, escortés de tous côtés, ils finissent enfin par arriver, on les installe aussitôt aux premiers rangs – qui, sous d’autres cieux plus respectueux du statut des uns et des autres, sont, tout normalement, réservés en priorité aux artistes. Et là, ils seront mitraillés par les flashs des photographes qui n’auront désormais d’yeux que pour eux et oublieront les intéressés, les fameux artistes pour lesquels cet événement a été, normalement, organisé.
Je disais donc que ce n’est pas la première fois que les politiques font ces intrusions chez les artistes, mais là, ils y vont de plus en plus pour faire des déclarations d’amour enflammées au public, et ce au vu et au su de tout le monde.
Franchement, je ne suis pas absolument contre le fait que nos politiques se mélangent de temps à autre aux artistes et aux amoureux des arts, ni même qu’on les accueille comme des stars, qu’on leur donne les premières places et qu’on relègue les vraies vedettes à l’arrière sur des sièges moins confortables.
Je peux le comprendre ne serait-ce que parce que je sais que s’ils sont là et que si les organisateurs leur font autant d’amabilités, c’est souvent parce qu’ils ont mis la main à la poche et que c’est un peu grâce à eux que cet événement a pu avoir lieu. Mais de là à ce qu’ils prennent leurs aises, montent sur scène et se mettent à nous faire la cour, là, je trouve qu’ils exagèrent un peu.
C’est ce qui vient d’arriver lors de la cérémonie d’ouverture de la 17ème édition du Festival national du film de Tanger qui a démarré vendredi dernier et se déroulera jusqu’à samedi prochain. Comme il est de coutume, on a donné la parole au nouveau maire de la ville qui, après de nombreux bismillahs et de longs salamalecs, a commencé par nous raconter l’histoire de sa grande idylle avec le cinéma qui, a-t-il tenu à nous préciser, ne date pas d’hier, autrement dit du jour où il a été élu.
Non, elle remonte au temps où son père, qui était un grand cinéphile, était obligé de casser la fenêtre de la chambre dans laquelle l’avait barricadé son propre père, c’est-à-dire le grand-père de monsieur le maire, pour l’empêcher d’aller au cinéma. Et toute la salle, émue et attendrie par ce récit qui ressemble à s’y méprendre à un scénario mélo et dont je ne doute pas un seul instant de la véracité, a applaudi à tout rompre au point que monsieur le Maire s’est senti obligé de nous promettre monts et merveilles pour les prochaines éditions de ce festival.
Je viens d’ailleurs de me souvenir qu’à la même occasion l’année dernière, monsieur le maire ayant eu un empêchement de dernière minute, c’était son adjoint qui avait pris la parole à sa place. Mais, contrairement à son patron, lui ne nous avait pas raconté d’histoires sur son paternel, mais il avait fait mieux: il a déclaré, la main sur le cœur, que «le peuple ne vit pas que de pain» et qu’il a besoin «aussi de culture», et donc, aussi, bien entendu, de cinéma.
Tous ces discours mielleux, venants d’homme qu’on classe volontiers parmi les conservateurs, voire des réactionnaires, ont de quoi surprendre bon nombre de gens de gauche qui, entre nous, sont devenus de moins en moins nombreux. Quant au fameux et malheureux «art propre», il semble avoir été mis définitivement aux oubliettes.
Maintenant, vous allez me dire que tout cela ne serait pas forcément sincère et ce ne serait que des discours pré-électoraux qui n’auraient pour but que de se rapprocher des artistes et aux autres élites pour les séduire et les convaincre de voter en leur faveur. En d’autres termes, tout cela ne serait que du cinéma et donc que du pipeau. Mais si jamais vous me dites ça, je vais vous répondre tout de suite que, comme le cinéma ou le théâtre, la politique c’est également un art du mensonge. Et c’est peut-être pour ça que les politiciens, tout comme les comédiens, arrivent souvent à nous émouvoir, c’est-à-dire à nous faire rire… ou à nous faire pleurer.
Quant à nous, pour les remercier, on les applaudit et parfois même on les élit. Alors, au lieu de continuer de nous lamenter et de nous plaindre sur notre sort, mieux vaut la prochaine fois que nous choisissions bien le film que nous allons voir, sinon, nous risquons, encore une fois, de nous faire avoir. En attendant, je vous dis vivement un meilleur cinéma et vivement mardi prochain.