A chacun sa vision de la confession, de la repentance, de la sanction et du pardon. Chez les chrétiens pratiquants, quand on fait une boulette, on va à confess’ et on prie «pardonnez-moi mon père parce que j’ai pêché…». S’ensuit la confession à l’ombre du confessionnal de Monsieur le Curé, dans l’attente du nombre de «Notre Père» et de «Je vous salue Marie» qu’il faudra réciter le jour même pour que Dieu miséricordieux nous pardonne nos péchés.
Et puis, il y a la vision adoptée par le PJD, vous savez, notre parti de la Justice et du développement? Pour les membres de ce parti où tout le monde est frère et sœur, et où la morale occupe une place déterminante quand il s’agit de juger son prochain, on a fait encore plus fort que chez nos frères chrétiens.
Non, non, ne vous enflammez pas, ils n’ont pas tendu leur joue poilue pour autant, au risque de s’en prendre une autre –que pour la peine ils n’auraient pas volée. Mieux que ça encore, et surtout moins risqué, au PJD, on a décrété que faute non avouée est non seulement pardonnée mais applaudie. Trop fort, n’est-ce pas? Alors voilà comment ça se passe, et prenez-en de la graine surtout, ça pourrait vous servir pour plus tard.
Ce nouveau concept de l’absolution, en mode standing ovation, concocté par les pjidéistes, nous le devons en fait à deux ministres affiliés à ce même parti, qui ont tous les deux péché de la même façon, en ne payant pas les charges sociales des salariés dans leur cabinet d’avocat.
Pour rappel, au cas où vous auriez raté un épisode de cette saga estivale qui nous a fait oublier pendant un temps la pandémie mais nous a rappelé à une autre réalité tout aussi dégueu’, l’un, Mustapha Ramid, ministre d’Etat en charge des Droits de l’Homme, a omis pendant 24 ans de payer les charges sociales d’une employée, décédée depuis peu, qui se serait refusée à adhérer à la CNSS mais acceptait des aides financières fissabillah, dixit son papa dans un papier légalisé, au cours d'un week-end (!) à la Mouqataâ (en voilà, un autre miracle, soubhanallah).
Quant à son collègue, Mohamed Amekraz, ministre du Travail et de l’insertion professionnelle, mais aussi soit dit en passant président du conseil d’administration de la CNSS, ce n'est qu'à la date du 19 juin 2020, il y a donc juste un peu plus de quinze jours, que son cabinet à Agadir a régularisé auprès de la CNSS l'ensemble de ses employés… Juste après que l’affaire de Mustapha Ramid, son collègue au gouvernement et au parti, a éclaté… Une régularisation après plusieurs années de travail au noir.
Depuis ces révélations dans la presse, de nombreuses voix se sont élevées. «Démission!» ont réclamé les uns. «Limogeage!» ont demandé les autres. Car oui, c’est à cela que l’on s’attend quand un ministre, et donc de facto quelqu’un censé être exemplaire, s’avère être un hors-la-loi. Mais du côté des intéressés, rien, walou, niente, nada, pas un mot, motus et bouche cousue. Et du côté du chef du gouvernement et grand frère en chef du parti, pareil…
En guise de tribunal pour ces deux accusés, les deux ministres ont dû comparaître devant la «commission d’éthique et de transparence» du PJD, et au vu de la lourdeur de leurs fautes, on s’attendait à un véritable fratricide, digne d’un péplum à la Romulus et Remus.
Mais non, à l’issue de cette commission qui a nécessité deux jours de réflexion (et de débats?), le PJD a rendu son verdict dans un communiqué qui a réduit à néant le sens des mots «justice», «éthique» et «transparence» et qui, disons le tout de go, risque fort d’entrer dans les annales de la politique… Mais dans la catégorie des mauvais gags de l’année. Soit dit en passant, rendez-vous fin 2020 pour le best of.
Les frères Ramid et Amekraz ont donc été totalement absous de leurs péchés par leurs frères et juges. «Mais pourquoi? Mais comment cela?», vous entend-on déjà vous insurger, mauvaises langues que vous êtes.
Et bien sachez que ces messieurs ont «accepté» de comparaître devant la commission, et ne serait-ce que pour cela, ils doivent être applaudis, et mieux encore, cet exploit devrait inspirer la communauté des haters que vous êtes, voire que nous sommes tous, nous les non pjidéistes.
Alors repentez-vous, chers compatriotes non affiliés à ce parti, qui nous donne pourtant l’impression de brandir le bâton de la morale assez prestement quand il s’agit de juger les «non frères» pour des comportements qui n’impliquent souvent que les libertés individuelles et sans faire de tort à personne. Sauf exceptions qui confirment la règle bien entendu… Poke les adultérins incompris Fatima Nejjar et Omar Benhammad, qui font maintenant figure de Tristan et Yseult des temps modernes, les romantiques Benkhaldoun et Choubani, Mohamed Yatim et Amina Maelainine, lesquels, chacun à sa manière, a succombé au chant des sirènes parisiennes… On se serait donc trompé sur toute la ligne?
Mais revenons-en à ce nouveau duo d’élite qui a tiré le gros lot à la loterie du «fais ce que je dis mais pas ce que je fais». Bon d’accord, ils n’ont pas déclaré leurs employés, consent le PJD, qui veut bien admettre que c’est contraire à la loi, mais bon, on ne va pas en faire tout un cake non plus hein?
La commission précise que Mustapha Ramid a tout de même fait preuve de charité envers sa défunte employée et cela, les islamistes l’applaudissent, saluant la sollicitude dont il a fait preuve. Quant à Mohamed Amekraz, parlons-en, de celui là, et bien on l’applaudit aussi, en saluant la vitesse supersonique avec laquelle il s’est empressé de régulariser une situation qui traînait depuis quelques années déjà. Stupéfiant!
Et enfin, le meilleur pour la fin, le verdict… «Les frères Ramid et Amekraz n’ont pas violé les règles de l’honnêteté et de la transparence dans la gestion des affaires générales et dans le cadre de leurs responsabilités publiques». Autrement dit, pour ceux qui ne manient pas le double langage, en tant que ministres, ils n’ont pas fauté. Voilà donc de quoi nous faire revoir à tous nos attentes quant aux ministrables et à leur CV. Donc autant postuler dès maintenant, les gars. Si vous avez fraudé le fisc, détourné de l’argent, que vous avez votre petit paradis fiscal à vous, que vous cachez dans votre placard une maîtresse, mais clouez au pilori ceux qui font la même chose, etc., etc., ne vous découragez pas! L’espoir fait vivre, et la machine à laver plus blanc que blanc n’est pas un mythe, merci Messieurs Ramid, Amekraz, et confrères, de nous le rappeler.
Ah, mais non! Où avions-nous la tête? Ce n’était pas ça le meilleur, parce qu’il y a bien mieux encore. Une fois ce verdict prononcé, il fallait bien trouver un méchant à l’histoire car dans toute histoire, qu’elle soit nulle à chier ou pas d’ailleurs, il y a un vilain méchant, il y a du suspens, il y a un climax pour maintenir le spectateur en haleine… Alors voici le topo: «qui a bien pu vouloir tendre un piège pareil à ces deux pauvres hommes en les empêchant de passer à la caisse pendant des années?»… (Suspense à son comble, spectateur hors d’haleine, pourvu qu’ils ne nous disent pas que la suite sera au prochain épisode!)
Bon allez, dans notre infinie clémence, – car oui, nous aussi, on sait se montrer charitables– on vous spoile la fin gratos: il s’agirait de parties adverses, malintentionnées qui se sont saisies de cette double affaire, qui n’en valait pas la peine, n’est-ce pas, pour mener tambour battant une «campagne systématique» pour salir l’image d’honnêtes hommes.
(Clap de fin, applaudissements à tout rompre, tomber de rideau.)
La commission absout et applaudit les deux frères.