Aux pauvres le confinement, aux riches la liberté! C’est ce que semble penser une certaine «couche sociale» marocaine qui, du fait de son aisance, suppose visiblement être immunisée contre le Covid-19.
Ce mot d’ordre, qu’on aurait aimé ne pas diffuser, mais qu’on se doit de dénoncer tant celui-ci est néfaste, a été partagé sur Facebook à de nombreuses reprises depuis le début de l’épidémie. Car, bien que honteuse, cette «pensée» est partagée comme une évidence, au vu et au su de tous, fièrement, et c’est bien ce qui est le plus glaçant.
Hier donc, une certaine L.B. s’est fendue d’un post, décidant visiblement de gratifier sa communauté d’«amis» de sa pensée du jour. Toutefois, celle-ci ne s’attendait pas à être trahie par certains de ses «amis», qui, visiblement choqués par ses dires, se sont empressés de faire des captures d’écran de son post pour le partager et déclencher ainsi une grosse polémique 2.0.
Ah! l’amitié n’est vraiment plus ce qu’elle était!
Mais revenons à L.B., qui, comme tout un chacun depuis le début de cette pandémie, est devenue experte en médecine, épidémiologie, sécurité, diplomatie, économie, finances et droits sociaux… Et qui y va donc de son avis sur le déconfinement au Maroc, ou plutôt à Casablanca… Car, faut-il le préciser, pour certains Marocains, le Maroc s’arrête à Casablanca, le vaisseau-mère; Rabat, la ville des mariages et des enterrements; Marrakech pour le Nouvel An; et bien sûr Cabo en été. Voilà pour le cours de géographie.
Sous le hashtag #deconfinementCasablanca, L.B écrit donc: «à mon avis, il faudrait un déconfinement par quartier. Il faudrait commencer par Anfa, Longchamp et CIL et laisser les autres quartiers fermés jusqu’en septembre avec aucune possibilité de circuler, mais alors du tout, qu’ils restent à l’intérieur de leur quartier et que nous on circule entre nous… Ça limitera beaucoup les risques et la courbe baissera sensiblement… Je vais en informer qui de droit pour suggestion!»
Si on devait se risquer à une analyse de texte, quitte à cracher sur nos études littéraires du temps béni où Facebook n’existait pas, et qu’on évitait de se la ramener quand on ne savait pas, ça donnerait ça:
Il y a eux, les Marocains, les pauvres… Et puis, il y a nous autres, la race supérieure.
Il y a nous, les civilisés, les gens éduqués, sains, riches bien entendu, qui n’avons pas besoin d’être confinés, car nous, la maladie ne nous touche pas. D’ailleurs on ne comprend pas pourquoi on nous inflige had el aâdab? Nous sommes pourtant au-dessus de tout, bien au-delà de la maladie et des lois, lesquels dans les deux cas s’arrêtent d’ailleurs aux frontières de nos quartiers. Et c’est bien pour ça que le confinement ne devrait pas être généralisé, mais Pro-gres-sif!
Nous les Marocains civilisés, riches, éduqués et sains, cela va de soi, vivons dans trois quartiers seulement : Anfa, Longchamp et CIL. En dehors de cette zone, ou plutôt de ce triangle d’or aussi aseptisé qu’étincelant où même les virus qui ravagent le monde n’osent s’aventurer, c’est la jungle. Une zone de non-droit, un territoire ennemi, dangereux, où vivent les indigènes, des êtres incontrôlables, que l’on se doit, en plus, d’appeler des concitoyens.
Ces autres, qui représentent un danger, doivent être enfermés et non confinés! Peu importe quelles peuvent bien être leurs raisons de vouloir sortir. Non, mais, ’manquerait plus qu’ils revendiquent des droits en plus! Et s’ils ont faim? Qu’on leur donne de la brioche voyons, comme le disait si bien Khalti Marie-Antoinette-allah-yrhamha-la-pauvre… Et surtout qu’on nous laisse circuler entre nous!
Bien sûr, qui dit libre circulation, implique réouverture IMMÉDIATE du Cafc, du Sun, du Cab, et de tous les autres endroits dont on peut contracter le nom en trois lettres et où on se fera une joie de retrouver nos potes ABS, MOM et KAM… (oui, si ton nom ne se décline pas en trois lettres ou en initiales, tu ne peux pas faire partie de nous autres).
Ah oui, on oubliait, nous sommes aussi experts en tout un tas de choses. C’est pour ça qu’on est riche, d’ailleurs, ou c’est peut-être l’inverse après tout… Enfin bref, peu importe, parce que le plus important, c’est que nous allons faire part de notre haute opinion et de notre thèse stratégico-médicale à qui de droit. Les autres ne le connaissent pas, ce «qui de droit». Nous, on n’a pas besoin de dire son nom, on se comprend entre nous.
Mais n’allons pas croire que L.B. est la seule à penser comme ça, loin de là. Toujours sur Facebook, un autre phénomène de cette espèce, les «nous», a également gratifié son monde de sa théorie. Vous êtes prêts? On y va avec une version purgée de ses fautes de français (car, oui, on peut être au-dessus de tout le monde, mais en dessous de tout, côté orthographe): «on ne peut pas changer notre situation d’un seul coup… Il faut faire appel à des cliniques privées, désignées et qu’elles soient réservées uniquement aux cas de Covid pour les gens aisés et laisser les places publiques aux pauvres, qui tolèrent les repas froids et l’eau du robinet».
Pour la peine, on vous épargne l’analyse de texte de cet autre témoignage gratifiant… N’allons toutefois pas verser dans les amalgames en mettant tout le monde dans le même panier. Fort heureusement, il y a aussi des vraies gens à Anfa, Longchamp et au CIL…