Assister à des rencontres académiques sur des sujets qui offrent de l’intérêt pour mon travail, est un exercice auquel je me livre bien volontiers. Cela me permet de mettre à jour mes connaissances et d’avancer une ou deux idées quand c’est possible. Toutefois cet exercice n’est pas à l’abri de surprises: les exposés sont parfois loin de mes préoccupations.
Il y a quelques semaines une fondation fort respectée a organisé une rencontre sur «la régionalisation avancée» où étaient invités deux présidents de régions et deux spécialistes du sujet. En lisant «régionalisation avancée» sur l’invitation, il m’avait semblé que la rencontre allait porter sur la manière dont les régions allaient se mettre au diapason du contenu de la nouvelle Charte de l’Investissement sur les territoires et leur développement.
Ignorance coupable des centres d’intérêt de nos élus. L’essentiel des exposés a porté sur l’explication de la notion de régionalisation et surtout sur les difficultés que rencontrent les conseils régionaux dans l’exécution de leurs programmes à cause du manque de «cohésion» des textes régissant l’institution et d’une «coordination» insuffisante avec la tutelle. Cette situation n’est pas anodine, puisqu’elle empêche entre autres les régions de dépenser la totalité des budgets qui leur sont alloués et se retrouvent en fin d’année avec de l’argent inutilisé.
Excédent surprenant au vu de l’ampleur des besoins. Autre souci, les Programmes de développement régionaux (PDR) élaborés par des cabinets de conseil, et payés chèrement, ne sont pas bien exploités. Un des spécialistes présents a conseillé, très justement, de faire l’évaluation de leur niveau de pertinence et réalisation.
Côté ressources humaines, quand un président de région parle d’améliorer leur qualité, il nomme les employés. A aucun moment la valeur ajoutée de l’élu n’a été évoqué. Probablement conscient de cette faiblesse, l’autre spécialiste présent a appelé de ses vœux la sortie rapide d’un texte définissant les attributions du Wali, pour lui permettre un meilleur accompagnement du développement régional.
Le sentiment qui s’est dégagé de cette rencontre est que le rôle de la région est plus un relais de missions, qu’un espace de conception et de déclinaison de programmes de développement.
Revenons aux préoccupations de votre serviteur. A quoi sert la régionalisation si elle ne permet pas l’amélioration du vécu des gens? Sans minimiser aucunement les spécificités culturelles qui peuvent justifier, dans certains cas, le déclenchement d’un processus de régionalisation, seule la croissance économique et le bien-être des gens demeurent les garants de son intérêt voire de sa survie. Certaines analyses vont plus loin en considérant que la régionalisation s’apparenterait à un effet de mode, si elle ne participe pas à la construction d’un territoire.
Le territoire se construit à travers la conjonction de deux conditions: la disponibilité de la ressource, d’une part, et l’action coordonnées d’acteurs actifs locaux: les élus, les entrepreneurs et les instituts de formation essentiellement, d’autre part.
Arrêtons-nous d’abord sur la ressource. Il faut que les acteurs locaux cherchent d’abord dans un territoire les ressources marchandes latentes, préférablement spécifiques, non transférables pour les valoriser. Autres richesses spécifiques, toujours dans l’optique valorisation, il y a les ressources cognitives (économie de la connaissance); auxquelles il faut ajouter les autres ressources non marchandes: les paysages, le climat, l’eau.
Le tissu économique d’un territoire peut inclure aussi ce qui est appelé les «entreprises nomades», ou sans ancrage territorial. Toutefois celles-ci risquent de migrer au gré des coûts de facteurs. La coordination des acteurs est essentielle pour l’émergence des territoires et assurer leur prospérité. Des acteurs capables de proposer une gouvernance meilleure que celle exercée par l’Etat et aptes à suppléer son désengagement progressif.
L’Etat central, sans nul doute, est conscient qu’il peut disposer à travers les acteurs locaux d’une «force de frappe» essentielle, pour promouvoir la construction des territoires. Eux seuls peuvent l’aider à déceler les spécificités de chaque territoire et mettre en exergue sa vocation. En assurant un bon encadrement des élus, en leur permettant d’appliquer la subsidiarité, il ne pourra que tirer bénéfice de leurs énergies gestionnaires.
La disponibilité de la ressource seule ne saurait suffire à assurer le développement, il faut une bonne gouvernance pour assurer une exploitation convenable. Les territoires se construisent par le bas autour de projets économiques C’est autour de bassins d’emplois qu’il faut édifier les villes, les doter des infrastructures, services sociaux et espaces de loisirs.
Ajoutons pour finir que la territorialisation suppose la collaboration pleine et entière des acteurs locaux, de l’administration des territoires et des autres ministères avec un état d’esprit qui bannit toute querelle de chapelle. Cela n’est pas facile parce qu’elle implique des décisions touchant au foncier (zones industrielles), aux attributions chères à certains ministères et un accompagnement renforcé des élus.
La Charte de l’Investissement est porteuse d’objectifs ambitieux. On ne saurait le lui reprocher. Formulons l’espoir que nos présidents de régions trouveront le temps de la relire attentivement, cela donnera à leur discours un caractère plus complet ou pour reprendre un mot en vogue «holistique». Cela donnera au terme «avancée» une connotation plus actuelle.
Soyons confiant dans l’adhésion de tous à ce vaste projet, ô combien bénéfique pour notre pays.