- «Tu veux ce poste, alors tu sais ce qu’il faudra faire? Sois compréhensive, après tout c’est une partie de plaisir partagé…»
- «C’est très simple, donnant-donnant, tu comprends? Sinon, d’autres filles plus sexy que toi n’attendent que ça…»
- «Bon, on est entre adultes; tu veux ce travail, moi je peux te l’obtenir, besoin d’un petit merci, quelque chose de sympa…»
- «Bon, tes compétences ne sont pas en question, mais dans la vie on n’a rien sans rien, c’est comme ça, c’est la loi de l’offre et de la demande…Tu comprends, faut pas t’effaroucher, elles sont toutes passées par là…»
- «Tu auras une bonne note si…»
- «T’es nulle, tu ne sais rien faire, tes dossiers sont bâclés, ton travail laisse à désirer… A propos de désir, as-tu changé d’avis? Non, alors t’es de plus en plus stupide!»
- «Après l’entretien, on ira dîner sur la côte, ne prévois rien pour ce soir, on va apprendre à mieux nous connaître…tu comprends?»
- «Tu parles de promotion, d’augmentation de salaire et tu n’es même pas capable de faire plaisir à ton chef, alors oublie…»
On pourrait allonger cette liste qui est d’un réalisme extrêmement répandu. Tout le monde le sait. Mais on n’en parle pas. Hchouma, Aïb, Fdiha, etc.
Depuis que la parole des femmes s'est libérée, pas un jour sans qu'une personnalité dans le domaine du cinéma ou des médias ne tombe. En plus d'être déconsidérée, elle perd son travail et est mise à l'index. En fait cette libération soudaine a pris des proportions inattendues. Celles qui ont été violées, harcelées dans leur travail ou ayant subi l'odieux chantage «tu couches ou tu perds ton boulot», celles qui ont eu le courage de briser l'omerta et de raconter ce qu'elles ont vécu en silence, tout cela est en train de changer la société occidentale dans son rapport avec l'entité féminine. Il n'y a pas que des stars qui tombent. Il y aussi des fonctionnaires, des petits chefs, des responsables politiques, des agents ayant du pouvoir.
Des femmes marocaines ont témoigné dans Telquel. Ce sont des femmes connues. Mais si on tendait un micro dans les couloirs d'un ministère, ou simplement dans la rue, vous verriez que la femme marocaine est encore davantage harcelée que les femmes européennes. La raison, le Maroc n'a pas de loi contre ce mal insidieux, le harcèlement sexuel ou moral. Même le viol n'est pas traité par la justice de façon juste et digne. Nous sommes affreusement en retard. On ne peut pas prétendre construire un État de droit, s'inscrire dans le projet de démocratie et ignorer cet aspect flagrant de comportement masculin intolérable. Qu'est-ce qu'attend le gouvernement pour proposer au Parlement une loi contre le harcèlement?
«Tu couches ou pas de boulot» est une pratique tellement répandue que certaines personnes l'admettent parce que c'est «la vie, c'est ainsi, on n'a rien sans contrepartie».
Cette pratique découle tout naturellement du fléau qui nous submerge, la corruption. Le chantage sexuel, le fait d'arracher du sexe avec la force du pouvoir, le fait de dominer et de n'avoir aucun compte à rendre, rendent la situation quasi normale. Certains disent, «il faut bien consentir quelque sacrifice, c'est donnant-donnant». Il en est de même du marché à gagner moyennant quelques enveloppes bien remplies. La pornographie est là. C'est la même. Quelle différence entre «tu couches ou pas de boulot» et «je gagne le marché et tu embellis ton compte en banque»?
«On aura beau faire, pour lutter contre le harcèlement et même pour le définir, comme toute violence ou toute violation, c'est encore de la liberté et de l'égalité dont aura besoin, c'est encore d'elles qu'il s'agit», écrit dans Libération (24 novembre 2017) Frédéric Worms, professeur de philosophie à l'École normale supérieure de Paris. On est sidéré par ce qu'on découvre tous les jours. Sidérés et désemparés. En fait, derrière le voile de la démocratie, le comportement non civilisé des uns et des autres se fait couramment dans une sorte de non-dit et de non reconnu acceptés et tolérés, une sorte de tradition malsaine assumée et mise sous le boisseau.