L’islam ne doit plus être l’otage de la politique

Le360

ChroniqueCette avancée sur le chemin de la démocratie en Tunisie devrait faire réfléchir notre gouvernement qui fait de l’islam le drapeau et le voile, le prétexte et l’alibi. On aimerait dire aux responsables: “Respectez cette religion. N’en profitez pas pour faire des slogans de propagande électorale !”

Le 23/05/2016 à 11h00

Coup de théâtre: Rached Ghannouchi, le président du parti islamiste tunisien Ennahda vient de souhaiter que «l’activité religieuse soit complètement indépendante de l’activité politique». Il précise: «On sort de l’islam politique pour entrer dans la démocratie musulmane». C’est la première fois à ma connaissance qu’un leader islamiste ose une sorte de laïcité en islam. Il rappelle que «l’islam reste un référentiel de valeurs civilisationnelles musulmanes et modernes».

Cette décision hautement politique est intelligente. Elle prend le contrepied de ce qui se passe dans le monde arabe et musulman. L’islam est une religion de grande valeur qui a été malheureusement souillée par la politique la plus abjecte, celle que pratique Daech par exemple. Ghannouchi dit clairement dans un entretien accordé au journal Le Monde du 20 mai 2016 que «le lieu de l’activité politique n’est pas la mosquée. (…) C’est très bien que la religion ne soit pas elle-même otage de la politique, manipulée par les politiques». Plus loin il affirme: «Ni la loi ni la religion n’ont à s’immiscer dans la vie privée des gens». On a envie de crier: «Bravo!»

C’est la première fois qu’un leader islamiste annonce une telle rupture. C’est courageux surtout en ces temps où la confusion entre la religion et le terrorisme est chose courante, voire admise par certains politiques. Au moment où j’écris ces lignes, je suis à Varsovie. La Pologne a refusé de recevoir des migrants car elle prétend qu’ils «sont des islamistes déguisés en réfugiés». Dans ce pays où il n’y a presque pas de musulman, l’islamophobie est assez répandue. Toute l’Europe a peur de l’islam et ne fait pas l’effort de distinguer la religion d’objectifs politiques désastreux comme ceux de Daech. Il est du devoir des musulmans de redonner à l’islam son aspect non violent et solidaire. 

C’est respecter l’islam que de le pratiquer sans l’utiliser dans des buts politiques, c’est trahir l’islam que de le mettre en avant comme marchepied pour atteindre le pouvoir, c’est être anti musulman que d’appeler jihad la terreur qui s’abat sur des populations innocentes qu’elles soient musulmanes ou non.

Cette avancée sur le chemin de la démocratie et de la modernité en Tunisie devrait faire réfléchir notre gouvernement qui fait de l’islam le drapeau et le voile, le prétexte et l’alibi. On aimerait dire à certains responsables : respectez cette religion en la pratiquant avec sincérité, avec foi et discrétion. N’en profitez pas pour faire des slogans de propagande électorale. Ne la mêlez pas à vos ambitions politiques.Que l’islam reste dans les cœurs et les esprits, qu’il soit célébré dans les lieux de culte, et qu’il soit un référentiel de valeurs humanistes et justes.

On sait que le Maroc interdit les partis religieux, mais il y a eu détournement et l’islam a été utilisé et exagérément mis en avant dans le domaine de la lutte «contre le vice et l’intolérable».

Jusqu’à la révolution iranienne, le Maroc a vécu un islam paisible, tranquille et discret. Lorsque l’ayatollah Khomeiny déclara : «L’islam est politique ou ne sera pas», le monde musulman a versé dans l’idéologie du fanatisme, de l’intolérance et de la violence. Le Maroc n’a pas pu échapper à la mouvance politique basée sur l’islam. Ainsi de plus en plus de femmes se sont voilées, des hommes se sont mis à fréquenter assidument les mosquées, des imposteurs se sont mis à émettre des fatwas sur tout et à s’immiscer dans la vie quotidienne et privée des citoyens. Le Maroc n’avait pas besoin de cette agitation.

Nos parents et grands-parents ont vécu leur islam dans le calme et la sérénité. Ils n’avaient pas besoin d’afficher leur islamité. L’islam était naturel, il faisait partie de la vie de tous les jours et personne ne cherchait à susciter des conflits entre les gens. C’était une époque paisible et rassurante. Renouons avec cette époque et dégageons l’islam de la politique.

Le Maroc a besoin de stabilité et de développement culturel et économique. Ce qui n’empêche nullement les croyants de pratiquer en toute liberté leur foi. Si le Maroc s’inspire de ce que vient de décider le chef d’Ennahda, ce sera un grand pas en avant vers la reconnaissance de l’individu, en tant qu’entité unique et singulière.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 23/05/2016 à 11h00