Ni son talent, ni son intelligence, ni sa sensibilité, ni sa beauté ne l’ont protégée. Leila Alaoui, une artiste passionnée et qui savait débusquer le réel derrière l’apparence, montrer la splendeur d’un corps derrière le voile des préjugés, donner à voir la vie avec ses douleurs et ses heures magiques a été victime de la brutalité sauvage en un moment où personne ne s’y attendait. Aujourd’hui le monde de l’art perd une étoile, une superbe créatrice qui a filé à toute vitesse. Il a fallu que ce soit sur scène, son lieu de création, pour les droits de l’homme, pour les droits de montrer ce que le grand public ne voit pas, que la cruauté des barbares l’a blessée d’abord et lui a retiré ensuite la vie qu’on avait cru hors de danger.
Elle a souffert, a vu cheminer la mort dans ses cauchemars, l’a repoussée de toutes ses forces, mais elle n’avait plus de force, pas même de quoi résister à des blessures qui ne devaient pas en principe se compliquer jusqu’à la mort.
Cet être fragile était en fait une femme forte, décidée à aller jusqu’au bout de son art, passionnée par la création, curieuse du monde dans sa complexité, ses couleurs, ses lumières et ses parts d’ombre. Elle n’hésitait pas, fonçait sans se retourner et accomplissait son travail avec la précision subtile et fine de l’artisan exigeant.
Elle avait un sourire magnifique, lumineux, généreux. Je la revois encore le 30 décembre dernier dans les jardins Majorelle à Marrakech, belle et heureuse. Elle était venue saluer une autre artiste marocaine, Lalla Essaydi qui signait un livre fait sur l’ensemble de son œuvre.
Comme dit la chanson de Jean Ferrat, elle aurait dû vivre encore un peu, vivre longtemps pour nous enchanter avec ses photos et ses trouvailles de génie. Mais la musique de son regard, l’immense talent de cette façon de voir et de fixer ce qu’elle a vu, devraient nous consoler ; tant de jeunesse et de créativité arrachées avec la férocité de ces monstres tombés d’un arbre sec, sans vie, sans humanité, nous laissent sans voix. Alors on observe le monde glisser vers la dérive de l’absurde, impuissants et affolés.
Je voudrais redire ici à Christine, sa mère et à Aziz, son père, combien cette tragédie nous affecte profondément tous et nous n’avons qu’à espérer une patience qui viendrait de l’esprit le plus haut, le sublime.