Je me souviens, chaque fois que mes parents étaient obligés de déménager, les entendre prier Dieu pour tomber sur de bons voisins.
Une fois, nous venions de nous installer dans un appartement au cinquième étage d’un immeuble au centre- ville, ce qui arrangeait mon père qui pouvait se rendre à pied à son travail.
Durant la première semaine, tout allait bien. Pas de bruit, pas de cris, pas de problèmes. Celui qui occupait le même appartement au sixième étage, était parti en vacances. Le concierge nous en avait informé. Mon père se demandait pourquoi avait-il pris la peine de nous renseigner sur ce voisin.
Nous apprîmes son retour par un vacarme tonitruant. Des portes claquaient. Des cris bientôt couverts par une musique de boîte de nuit. Du Disco, du Raï, du bruit.
Le lendemain, non seulement le boucan s’était intensifié, mais voilà que notre balcon devint la poubelle du voisin. Il jetait ses immondices sans se préoccuper du lieu de leur chute.
Mon père, poli et courtois, monta lui parler. Il se trouva devant un de ces individus, sale et violent. Il rebroussa chemin et dit à ma mère «nous n’avons pas de chance! Nous sommes tombés sur un phénomène qui se croit tout permis. Nous aurons des problèmes!».
Effectivement, ce voisin vivait de ses rentes; il avait dû bénéficier d’un héritage conséquent. Pas besoin de travailler. Son père avait une «grima» (un agrément) d’une dizaine de taxis. Loués à de pauvres gens, ils lui rapportaient un salaire important sans rien faire. Le reste du temps, il faisait venir des prostituées qu’il maltraitait souvent après avoir bu pas mal. Des bouteilles vides de whisky et de gin s’amoncelaient sur son balcon.
Ce voisin devint le cauchemar de la famille. Le concierge se confia à mon père: «vous savez, il n’en fait qu’à sa tête; il glisse des billets à la police, il se permet tout parce qu’il sait que personne ne pourra l’arrêter…».
Que faire? Lui parler, lui tendre la main? Au discours courtois et poli de mon père, il a répondu par des insultes et des menaces.
Mon père lui demandait de baisser le son de la télévision et de ne plus jeter ses ordures dans notre balcon, osant ensuite lui rappeler qu’il n’était plus à la campagne, et qu’en ville, on doit se respecter mutuellement pour vivre ensemble. Il leva le bras, prêt pour la bagarre. Non seulement il ne comprenait pas ce que lui disait mon père, mais il le menaça de le déloger du cinquième, prétendant avoir le bras long pour faire ce qu’il veut.
Le concierge informa mon père que les précédents locataires avaient tenu six mois et avaient dû quitter l’immeuble.
La perspective de se remettre à rechercher un autre appartement, surtout aussi bien placé et à un loyer convenable, n’enchantait pas mes parents.
Mon père acheta deux boîtes de boules Quies et nous voilà un peu protégés du vacarme permanent de ce voisin horrible. Mais nous n’allions pas vivre, ayant en permanence, les oreilles bouchées. Ma mère, fatiguée, se mit à pleurer. Nous vivions un petit enfer et nous savions que notre ennemi était décidé à nous créer des ennuis de toutes sortes. C’était son plaisir, son passe-temps, sa pathologie.
Une autre fois, mon père essaya avec lui la plaisanterie et l’humour pour l’amener à tenir compte du voisinage. Il avait tout pris au premier degré. Il n’avait aucun sens de l’humour.
Un jour, le feu se déclara dans sa cuisine. Heureusement qu’il réussit à l’éteindre, mais voilà qu’il nous accusa d’avoir allumé ce feu depuis notre balcon. Ma mère y avait déposé un kanoun de charbon pour faire griller des brochettes. Mais il n’y avait pas de feu chez nous. Il déversa des seaux d’eau sale sur le linge qui séchait sur l’autre balcon. Au parking de l’immeuble, il repéra la voiture que mon oncle garait là, creva les quatre pneus tout en rayant la carrosserie au moyen d’un tournevis.
Mon père déposa plainte à la police. L’individu était connu. Un des agents conseilla à mon père de s’arranger avec lui ou de changer d’habitation.
Un ami lui proposa de lui envoyer deux voyous pour lui donner une bonne leçon. Mon père refusa: «nous ne sommes pas des voyous pour avoir recours à ce genre d’intervention même si je sais que ce sera efficace, je crois au droit et à la loi; nous ne demandons rien de particulier, juste vivre en paix et en bon voisinage».
Que peuvent le droit et la loi face à un voyou, probablement en connivence avec la mafia, corrupteur et arrogant? Pas grand-chose.
Un matin, il avait cogné si fort à notre porte d’entrée jusqu’à la casser. Il prétendit que nous avions empoisonné son chat qui venait de mourir. On avait beau nier et lui demander de nous laisser en paix, il hurlait et, pour se venger, il s’empara d’une pile d’assiettes que ma mère venait de laver et les jeta par terre. Elles furent toutes cassées. Ma mère cria de toutes ses forces, ce qui fit venir le concierge et quelques voisines. En repartant, il bouscula les gens et leur adressa des insultes crapuleuses.
La semaine d’après, mon oncle nous hébergea en attendant que mon père retrouvât une maison indépendante. Il n’était plus question d’habiter dans un appartement, où le voisinage risquerait d’être une guerre sans raison.
Ainsi, quand on a le malheur d’être voisin de quelqu’un de haineux, de non éduqué, de belliqueux et de malhonnête, la solution est simple: on déménage. Des fois, le déménagement s’avère impossible.
Malheureusement, nous nous trouvons dans une situation absurde. On ne peut ni déménager ni ramener à la raison notre voisin motivé par une haine épaisse, gratuite, incompréhensible et dangereuse.