Choqué à l’époque (1968) par la politique discriminatoire du Club Med à l’égard des Marocains, j’avais écrit un poème, intitulé en toute simplicité «La planète des singes», le deuxième texte que j’écrivais. Je venais de sortir du camp disciplinaire de l’armée de Ahermemou plus décidé que jamais à dénoncer ce qui nous faisait mal dans le Maroc que nous aimions tant.
Le poète et critique littéraire Alain Bosquet le remarque et le publie dans un recueil «Les poèmes de l’année» aux éditions Seghers. Quelques mois plus tard, le journal Le Monde le reprenait dans une page «Place au poème». C’était l’époque où la poésie avait encore sa place dans la presse culturelle.
En 1972, les éditions François Maspero publient mon deuxième recueil de poésie «Cicatrices du soleil» dans la collection «Voix». Maspero reprenait le livre que les éditions Atlantes, dirigées par Abdellatif Laâbi, avaient publié sous le titre «Hommes sous linceul de silence» (1970) où figurait «La planète des singes», augmenté de quelques autres textes.
Traduit dans plusieurs langues, ce poème vivait sa vie et de temps en temps quelqu’un m’en parlait soit pour me remercier, soit pour me reprocher d’avoir été dur avec le spécialiste des vacances nouvelle manière.
Plus de vingt ans après sa publication, voilà qu’il revient sur scène cette fois-ci grâce à Bernard Pivot qui, juste avant les vacances de l’été 1989, avait demandé à Gilbert Trigano, le patron du Club Med de lui parler de ses lectures et de ses auteurs préférés. Me voilà invité par cet entrepreneur à discuter littérature sous la houlette de Pivot. Lequel mit tout de suite les pieds dans le plat en lisant une bonne partie du poème que Trigano connaissait bien. Il disait en apprécier l’écriture et contestait évidemment le contenu. Tout cela avec le sourire et dans une bonne convivialité.
J’étais un peu gêné et en même temps assez fier de constater combien un poème avait le pouvoir de susciter tant de réactions et surtout de durer autant de temps. Les explications de Trigano ne changeaient rien à l’affaire, même s’il avait reconnu qu’au départ l’aventure du Club avait fait quelques erreurs sociologiques. Je n’avais aucune envie de batailler avec ce brave patron, astucieux et sympathique. Le poème était finalement plus féroce que moi. Le fait de le retrouver aujourd’hui sur le site officiel du ministère marocain de la Culture m’a réjoui et m’a conforté dans l’idée que la poésie, quand elle est sincère et sortie de l’âme, résiste à tout et dans certains cas témoigne avec force et sérénité sur l’époque.
Publié ensuite dans «Les amandiers sont morts de leurs blessures» (1978) ensuite repris dans «Poésie complète» (1995) et enfin dans «Jénine et autres poèmes» Poésie Gallimard (2007), ce poème le voici ; il a peut-être vieilli, mais je le revendique aujourd’hui encore presque un demi-siècle après l’avoir composé :