Emmanuel Macron, tel que je le connais

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ChroniqueUn jour je demandai à Emmanuel s’il a des enfants. Henry se mit en colère et me dit «tu te moques de lui ?» Moi, je ne savais pas qu’il avait épousé sa professeur de français, son aînée de 25 ans ! Emmanuel ne fit pas de commentaire mais j’ai su qu’il ne fallait pas plaisanter avec ce sujet.

Le 08/05/2017 à 09h48

Contrairement à Valery Giscard D’Estaing ou Nicolas Sarkozy, Emmanuel Macron ne rêvait pas, quand il était étudiant, de devenir un jour président de la République. Cette ambition est normalement portée depuis le plus jeune âge. Certains y croient et parviennent à réaliser leur rêve. D’autres, les plus nombreux, s’évanouissent dans la nature sans que personne ne se souvienne d’eux.

Le cas Macron est à part. Quand je l’ai connu à Terra Nova, je ne pouvais pas imaginer que ce jeune homme courtois, sympathique, cultivé, toujours bien habillé, pensait à la plus haute fonction de l’Etat. A l’époque, son ambition était connue : avancer dans le métier de la finance tout en réfléchissant sur la manière dont la société française devait évoluer et changer. Son passé de secrétaire du philosophe Paul Ricoeur lui donnait un élément de plus par rapport à ses camarades d’étude. Il était différent.

Je le voyais souvent chez notre ami commun, l’entrepreneur et homme de gauche, proche de Michel Rocard, Henry Hermand. C’est lui qui l’a découvert au moment de sa sortie de l’Ecole nationale d’administration quand il faisait un stage dans une préfecture au centre de la France. Henry Hermand a tout de suite repéré en lui l’homme neuf et ambitieux. Il ne va plus le quitter. Il sera son témoin de mariage et lui prêtera de l’argent pour l’achat d’un appartement à Paris. Macron le remboursera plus tard en plusieurs échéances.

Un jour je demandai à Emmanuel s’il a des enfants. Henry se mit en colère et me dit «tu te moques de lui ?» Moi, je ne savais pas qu’il avait épousé sa professeur de français, son aînée de 25 ans ! Emmanuel ne fit pas de commentaire mais j’ai su qu’il ne fallait pas plaisanter avec ce sujet.

Emmanuel fait beaucoup référence à sa grand’mère qui l’a élevé. Ses parents, père grand médecin, sont moins cités. Elle lui a appris la rigueur, le travail bien fait, la constance dans ce qu’il entreprend, l’amour de la langue et des dictionnaires. Quand la presse lui demande quel objet vénère-t-il, il dit «un livre de grammaire».

Le passage à la banque Rothschild va le former et lui donner une expérience qui va lui servir plus tard. En même temps c’est ce que ses opposants vont lui reprocher le plus. Mais lui, contrairement à François Hollande, ne considère pas «la finance comme une ennemie». Au contraire il la cite en exemple. Cela, c’est son côté «droite». Par ailleurs, il n’oublie pas la philosophie de Paul Ricoeur, basée sur un humanisme et un personnalisme progressiste. Cela c’est son côté «gauche».

Terra Nova, l’association d’inspiration socialiste, financée en partie par Henry Hermand, lui donnera quelques armes de gauche pour parler du social. En même temps, il est réaliste et quand il propose sa loi Travail en tant que ministre de l’économie, il veut réformer et bouleverser le système sociologique du travail. Il dit le moderniser, sachant qu’il aura face à lui l’opposition des syndicats, des partis de droite et de gauche.

Henry Hermand a travaillé avec lui sur la notion du «socialisme libéral et progressiste». C’est une façon d’être de gauche tout en ménageant le réalisme du capitalisme. Je me souviens d’une discussion sur le paradoxe des syndicats qui, avec 7% de travailleurs syndiqués, parviennent à bloquer tout un pays. Le poids du syndicalisme ne correspond pas à leur nombre. Là aussi, il souhaitait une réforme de ces intermédiaires et revoir le coût du travail en France.

La relation avec son «mentor» va connaître des éclipses. Henry Hermand considère que c’est lui qui «a fait Macron» et ne se gênera pas de le dire dans la presse, notamment dans un entretien accordé au Figaro. Ce qui sera repris dans toute la presse avec ce titre «Hermand, l’ami qu’on n’aimerait pas avoir». A cette époque, Emmanuel pense déjà à l’Elysée et fonde son association «En Marche». Il s’éloigne peu à peu de Hermand, lequel, à 92 ans, tombe malade.

Etant ami très proche de Hermand, j’ai été souvent lui rendre visite à l’hôpital au mois d’octobre 2016. Malgré ses difficultés à respirer et ses douleurs multiples, Henry ne me parlait que de Macron qui attendra longtemps avant de venir le voir. Finalement, il lui rendra visite un mardi et Henry meurt le samedi 5 novembre 2016.

Nous nous sommes retrouvés à ses obsèques. Nous avons fait l’éloge funèbre de Hermand à tour de rôle. Ce fut émouvant. Emmanuel venait d’enterrer le père spirituel qui l’avait découvert alors qu’il n’avait que 22 ans. Moi, je perdais un ami tardif qui était très attaché au Maroc où il avait investi et l’avait regretté.

Il m’est arrivé de revoir Emmanuel durant sa campagne électorale. Nous avons évoqué le souvenir d’Henry. Le soir des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, je lui ai envoyé un message via Brigitte son épouse en lui disant «je pense à Henry qui aurait été si heureux». En même temps, je ne suis pas sûr que le bonheur supposé d’Henry aurait été total, car une jalousie discrète mais réelle se profilait dans la relation entre «mentor» et «protégé». Ainsi Emmanuel Macron est une étoile qui ne cesse de surprendre tout en sachant que les grandes difficultés commenceront dès cette semaine. Il devra garantir une grande liberté et une vraie justice sociale. Ce qui n’est pas aisé d’autant plus qu’il n’est pas sûr d’avoir une majorité parlementaire pour gouverner.

Un dernier point nous concernant : sa visite en Algérie et la déclaration qu’il a faite à propos de la «colonisation considérée comme crime contre l’humanité», chose qui lui a été plusieurs fois reproché, le met dans une situation où il devrait faire oublier cette «faute» politique. Il viendra au Maroc et se rendra compte de la spécificité de chacun des pays du Maghreb. Ainsi une majorité du peuple français et tout le Maghreb se réjouissent de la défaite du parti de Mme Le Pen. Quelle que soit la suite, on peut dire «Merci Macron !».

Par Tahar Ben Jelloun
Le 08/05/2017 à 09h48