Ces derniers temps a surgi au Maroc un phénomène nouveau et très inquiétant : une «justice sauvage» se voulant populaire. Des individus s’improvisent «juges» et organisent des réunions, désignent un «coupable» et se mettent à le juger comme s’ils étaient dans un tribunal. En général, c’est fait au nom de la morale, mais quelle morale? Celle de voyous qui se considèrent au-dessus des autres et décident à la manière des califes auto proclamés de rétablir le bien et chasser le mal. Un programme fou qui sabote la construction de l’Etat de droit.
Cela a commencé dans certaines universités, puis la chose a dégénéré lorsque des commandos violent l’espace privé et se mettent à lyncher des hommes qui seraient coupables d’ «actes contre nature», c’est-à-dire homosexuels. Cela s’est passé en septembre 2011 dans la ville d’El Ksar Kébir et récemment à Béni Mellal.
Dernièrement ils ont envahi à Salé la maison d’une femme exerçant le métier de voyante et l’ont battue copieusement. On a dit que certains avaient suggéré de la brûler comme l’Europe faisait au Moyen-Age avec des femmes qu’elle considérait comme des sorcières.
L’été 2015, des jeunes, armés de sabres et de couteaux, ont envahi des plages à Tanger cherchant les femmes qui se baignaient en maillot au lieu de porter une burka. A Agadir d’autres dangereux moralisateurs ont voulu interdire le port du bikini y compris pour les touristes étrangères. Une façon assez efficace de faire fuir les touristes qui aiment notre pays. On se souvient aussi de l’affaire des jeunes filles d’Inezgane qui ont failli être lynchées parce qu’elles portaient des robes non acceptées par une certaine morale.
Des professeurs de faculté à Fès et à Meknès ont alerté les autorités car certains étudiants se sont battus avec d’autres qui ne sont pas de leur bord avec des armes blanches. A Fès, il y eut un mort. Mais les sabres et poignards ont remplacé, dans les cartables, les cahiers et les livres.
Le ministère de l’intérieur ainsi que les autorités locales ont minimisé ces incidents et ont fermé les yeux sur ce dépassement de la loi. On sait que des hommes harcèlent dans la rue des femmes qui ne se couvrent pas entièrement. Ils s’érigent en moralisateurs intransigeants alors qu’ils sont des hypocrites, souvent des refoulés sexuels, des hommes qui ont une peur bleue de la femme, du corps de la femme, du désir de la femme.
Une nièce m’a raconté combien elle a subi de remontrances de la part d’occupants d’un taxi collectif. Elle portait une jolie robe et certains l’ont accusée de vouloir les provoquer.
Une autre jeune femme m’a raconté qu’elle doit se battre tout le temps contre les insinuations de ses collègues au travail, ou dans la rue, parce qu’elle est belle et qu’elle refuse de se voiler, parce qu’elle aime son mari et que celui-ci ne veut pas qu’elle s’enlaidisse en se déguisant avec un voile.
Il y a, perceptible dans l’air, une violence d’un genre nouveau. Le Maroc a été le pays de la douceur et de la modération. Il est en train de devenir le pays du fanatisme et du moralisme hypocrite. Il faut que le Marocain devienne un citoyen, c’est-à-dire un individu respectant la liberté de son voisin. Il n’y a aucune raison pour qu’un groupe de frustrés se lève pour faire la loi et juger les autres. On n’est pas dans l’Ouest américain du XIXe siècle où quelques bandits s’emparaient d’une ville et y exerçaient leur propre conception de la justice.
C’est ainsi que des guerres civiles se mettent en place et font le malheur d’une société. Ces énergumènes qui se croient autorisés de gérer selon leur vision du monde la vie des autres font à une échelle encore faible ce que fait Daech dans son prétendu «Etat islamique».
Attention, ces gens sont en train de saper la base de l’Etat de droit qui s’installe lentement au Maroc. Si on les laisse faire, c’en est fini de la sécurité minimale des citoyens, ce sera la fin du droit et de la loi. Le ministère de l’intérieur et les autres secteurs de la sécurité devraient prendre ces actions avec beaucoup de sérieux et agir vite et avec fermeté. On commence par faire un simulacre de procès et on finit par lyncher et exécuter des innocents.
Ce qui se passe est très grave. Peut-être que j’exagère, mais je préfère exagérer plutôt que de me taire ou de minimiser la gravité de pratiques en totale contradiction avec l’esprit des lois et l’application du droit par ceux dont c’est la fonction.