Lassé des «installations», des empilements de vieux vêtements ou de bouteilles en plastique, j’ai eu faim de «vraie peinture». De doctes experts m’ont dit, en me tapotant doucement les omoplates comme si j’étais malade : «Revenez à Gharbaoui, Belkaya, Melehi ou bien Chaâbia ou encore Roman Lazarev, cet artiste russe né au Maroc — Merci, je les connais de longue date, et je les apprécie, et j’y ajoute également Nabili **.
Mais, je suis têtu, je voulais du neuf, vraiment neuf et, en furetant, je suis tombé sur Rachid Hanbali. O rien à voir, contrairement aux bévues d’Internet, avec le hanbalisme cher à la Séoudie ! …
Non, Rachid Hanbali est né en 1970 à Sidi-Ifni, au sud d’Agadir, comptoir espagnol de 1934 à 1969, un des trésors naturels cachés du Maroc méridional. Le tempérament d’emblée artiste du jeune Rachid fut intelligemment canalisé vers deux pôles magistraux de beauté artistique et historique : la belle inconnue timide nommée Tétouan, héritière légitime de feu l’Andalousie arabo-berbère et Grenade, la Gharnatta où rodent encore les fantômes de la dernière dynastie arabe d’Espagne, renvoyée au Maghreb en 1492 par les Rois catholiques.
Quand j’ai commencé à vanter ma «découverte», à montrer des reproductions d’œuvres de Rachid Hanbali où défile tout le Maroc profond, ses foules, ses métiers, ses minarets, ses chevaux, ses souks de blédards, j’ai entendu se lever un concert de remarques aigres-douces : «Mais ce sont des tableaux pour touristes ou pour nouveaux riches, vous avez beaucoup mieux dans le genre chez Hassan El Glaoui ou même chez Zine ou bien chez des orientalistes européens type Cruz Herrera ou Pontoy, et blablabla …»
Eh ! bien non, je trouve beaucoup plus de mouvement, de fraîcheur, de simplicité, d’âme pour tout dire chez Hanbali. Je revois surgir chez lui la spontanéité de Mohamed Ben Ali R’bati *** (1861-1939), ce Tangérois d’adoption et de formation, premier peintre islamo-marocain, parrainé par rien de moins que John Lavery, fameux portraitiste des monarques britanniques, résidant à Tanger. Plus encore, je sens une filiation avec Mattéo Brondy**** (1866-1944), cet ancien vétérinaire de l’armée franco-chérifienne, mué ensuite en initiateur du voyage culturel à Meknès et surtout en ré-inventeur au Maroc de la peinture figurative sans artifices, sans jus de crâne, sans message, bref une peinture qui montre sans chichis ce que l’artiste a saisi chez gens, bêtes, monuments, paysages. Un art reposant, apaisant, sans discours intello, un art qui ne donne pas le torticolis et ne vous pose pas de questions métaphysiques insolubles. Ouf !
Que ce coup d’œil (bien plus que coup de dent !...) sur Hanbali, me soit également l’occasion d’esquisser un éloge de Tétouan et surtout, cette fois, de l’Ecole des beaux-arts de cette ville. Une institution lancée en 1945 par le peintre andalou marocophile Mariano Bertuchi (Dieu lui fit la grâce de naître en 1884 à Grenade et de mourir en 1955 à Tétouan). Un dahir sultanien de 1946 légitima cette école dont Mohamed V vint inaugurer le nouveau siège en 1957, et à laquelle Hassan II, quoique réputé ne jamais rien faire pour le Nord, conféra le précieux statut universitaire.
D’abord très judéo-hispanique, l’Ecole de peinture de Tétouan fut vite investie, autour des années 1950, par toute une pleïade d’artistes arabo-berbères en herbe, cornaqués alors par leurs aînés Mohamed Serghini ou Bouabid Bouzaïd et plus tard Mohamed Chabâa. Et le vigoureux talent des jeunes impétrants fit le reste, parmi lesquels Rachid Hanbali, exposé en solo à New-York dès 2009 et, la même année, primé à Pékin, apprécié à Tokyo, avant même de l’être au Maroc et en Espagne.
(*) Voir mon «coup de dent» du 13 mai 2016. Et signalons que les éditions marocaines Marsam viennent d’éditer un excellent petit livre sur Nabili
(**) Voir mes «coups» relatifs à Nabili sur «le360» en 2015 et 2016
(***) Voir «Mohamed Ben Ali R’bati. Naissance de la peinture marocaine», par Zineb Abderrazik-Chraibi, Marsam. 50 pages illustrées couleurs.
(****) Voir «Des vétérinaires au Maroc sous Protectorat français», par Jamal Hossaini-Hilali, avec un intéressant développement sur Mattéo Brondy, Adrar Edition, Rabat, 2015. 190p. illustrées noir et blanc. Et également, « a colonisation via les vétérinaires», par Péroncel-Hugoz, in «la Nouvelle Revue d’Histoire», Paris, janvier 2015.
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