Tempête bien parisienne, frivole et paradoxale, que celle qui agite, cet hiver, le microcosme intello de la "Ville-Lumière" ... Figurez-vous que le régime socialiste a décidé de tenir enfin une promesse de ... 1990! La simplification, la mise à jour de l'orthographe française sera donc en vigueur à la prochaine rentrée dans l'Hexagone.
Je connais un peu cette affaire car, à cette époque, je suivais pour "Le Monde" les affaires francophones et donc les activités de l'académicien et téléaste Alain Decaux qui, guère "socialo" mais patriote, avait accepté d'être ministre délégué à la Francophonie dans un cabinet Michel Rocard (1988-1991). Decaux veillait avec attention sur cette Francophonie, lancée en 1970 par le gaulliste André Malraux et qui avait attiré plusieurs dizaines de nations "ayant le français en partage", dont le Maroc et la Tunisie (mais pas l'Algérie)*.
Pensant aux écoliers du monde entier, Decaux avait, par raison, approuvé le projet de réforme, comme son collègue académicien Maurice Druon, grand ami du roi Hassan II et membre de l'Académie du Maroc. Druon fut à l'origine de l'entrée dans le Dictionnaire de l'Académie française de nombreux mots venus du Sud, comme "Chambellanie" (forgé et utilisé au Maroc) on "Essencerie" (créé au Sénégal pour remplacer l'affreux "Station-Service").
Moi-même, avec les encouragements de Druon et Decaux, j'apportai ma petite pierre à l'édifice en publiant en 1990 un de mes livres de voyage ("Villes du Sud", où je traite notamment de Tanger et Asilah) avec l'orthographe simplifiée. Ce que je ne fis pas pour les ouvrages suivants car, entre-temps, la France officielle avait enterré cet utile projet linguistique ...
Aujourd'hui le Tout-Paris pensant polémique sur cette réforme ressuscitée et la tendance mondaine dominante est, pour l'instant, de la boycotter ... Ecoutons plutôt cette haute figure de la vie culturelle française actuelle, l'académicien Marc Fumaroli**, esprit dynamique et jamais conformiste, pourfendeur sans pitié du "fanatisme égalitariste" de la République française socialiste et dénonciateur impayable de l'"Art-Fric" qui s'est greffé, comme un parasite, sur la Mondialisation financière ...
Donc écoutons M. Fumaroli, en particulier dans "Le Figaro" du 12 février 2016: "L'alarme suscitée par l'application d'une réforme très prudente de la langue française est très excessive et mal informée. Ce texte modeste, modéré, savamment médité, "de droite" aimerions-nous dire, fut approuvé [en 1990] par l'Académie. Il n'est jamais entré en vigueur, sans doute sous la pression du maximalisme de syndicats de gauche". Sous les rois de France qui, à partir de François Ier (1515-1547), rendirent obligatoire la langue française dans la vie publique du Royaume des Lys, au moins trois grands amendements de l’idiome national eurent lieu sans drame.
Je ne vous en dirai pas plus, chers suiveurs curieux de connaître cette réforme, car vous pouvez en trouver tous les traits sur le Net. Vous y verrez que ledit projet n'a rien de révolutionnaire et ne concerne que 2.400 mots des 35.000 du français courant.
Vous apprécierez sans doute la disparition de l'inutile accent circonflexe sur "paraître" ou "maîtresse" - mais pas sur "mûr", "sûr" ou "dû" afin d'éviter la confusion avec "mur", "sur" et "du". Vous pouvez supprimer certains traits d'union sans utilité et écrire désormais "millepattes" ou "weekend". Et le reste à l'avenant.
Le seul reproche que les francophones non français (soit environ 200 millions de locuteurs quotidiens des cinq continents) pourront faire à bon droit à cette réforme de 1990-2016, c'est que les linguistes français, sauf exception, l'ont élaborée entre eux, sans beaucoup se soucier de l'avis des francophones hors de France. La langue française est certes née en France mais son expansion mondiale, peu à peu depuis le XVIe siècle, a fait que l'idiome de Balzac et Houellebecq est devenu aussi celui de Léopold Senghor (Sénégal), Antonine Maillet (Quebec) ou Driss Chraïbi (Maroc, "Le passé simple", 1954).
Bon vent quand même à la réforme, qui de toute façon, ne rend pas caduque l'orthographe actuelle, laquelle va rester en vigueur sine die, afin que chacun puisse appliquer les nouveautés à son rythme, Inchallah! Mais si certains Etats francophones, vexés par la désinvolture parisienne, décident de ne pas appliquer la réforme on risque d'avoir bientôt deux orthographes, l'ancienne et la réformée ...
* En 2016, l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), siège à Paris, est dirigée par une Haïto-Canadienne et groupe environ 70 Etats, en comptant les observateurs.
** Ayant passé sa jeunesse à Fez et Meknès, M. Fumaroli a montré son attachement au Maroc en préfaçant volontiers, en 2014, "Meknès 1950", intéressant ouvrage collectif composé par d'anciens Meknassis (collection Xénophon, dirigée par le natif de Salé Alain Sanders).
Lire : "Le tapis rouge", par Alain Decaux, de l'Académie française, Perrin, Paris, 1992.