C’est au restaurant Ali Baba, à l'entrée d’El Jadida, que mon ami Rachid N. m’a raconté cette histoire, avant-hier.
– Tu sais que j’ai fait toute ma carrière à Royal Air Maroc avant de prendre une retraite bien méritée?
– Rachid, je te connais depuis l’arche de Noé, je sais bien que tu as travaillé sous Mekouar, Hassad, Berrada, Benhima et j’en passe.
– En fait, tu n’en passes aucun, merci pour eux. Je t’ai déjà raconté mon aventure avec l’exorciste?
– Non, mais j’ai l’impression que tu vas le faire.
– C’était sur un vol Djeddah-Agadir. Nous avions affrété un avion espagnol pour ramener des pèlerins, une cinquantaine, de la Mecque au pays natal. Tout à coup, une rumeur monte du fond de l’appareil. Je vais voir de quoi il retourne –c’est mon métier– et je découvre une hajja de fraîche date qui a l’air d’aller mal. Elle est étendue sur le dos, dans l’allée, tremblant de tous ces membres et balbutiant hou… hou… hou. Colique néphrétique? Crise cardiaque? Danse de Saint-Guy? Ses compagnons m’assurent qu’il n’en est rien. Ils me font des signes cabalistiques que je ne comprends pas. Puis l’un d’eux, exaspéré, me souffle: mais enfin, tu ne vois pas qu’elle est habitée?
Là, j’ai un doute. Suis-je en train de rêver? Dans un Boeing, à 30.000 pieds d’altitude, à 800 kilomètres à l’heure, ces pèlerins veulent-ils sérieusement me faire croire que cette dame est possédée du démon?
– Remarque, ils vont jusqu’à La Mecque pour le lapider, c’est normal qu’il s’énerve de temps en temps.– Je me penche sur l'infortunée et lui demande de quoi elle souffre. Pâle, toujours tremblante, elle me répète hou, hou, hou.
Je me redresse et me souvenant du traditionnel “y a-t-il un médecin dans l’avion?”, je braille “y a-t-il un exorciste dans l’avion?” Je croyais faire de l’humour (noir) pour détendre l'atmosphère. À ma grande surprise, les hajjas et les hajjs frais émoulus se tournent comme un seul homme vers un petit vieux engoncé dans un burnous couleur puce et hurlent: lui, le fqih, là!!!
L’homme ainsi plébiscité par la foule se lève lentement, renifle un coup, ajuste sa chéchia, rabat les pans de son burnous –on dirait un chirurgien qui s'apprête à opérer…
– Avec un burnous?– … et se penche sur l’habitée. Il lui prend d’autor’ le pouce entre deux doigts, serre légèrement et ferme les yeux.– Il ausculte. C’est crucial.– Conclusion: un djinn réside effectivement dans le corps de madame. Écartez-vous, je m’en occupe. Il récite une petite fat’ha des familles puis enlève une de ses babouches…– Ouais, c’est vraiment un chirurgien.–… et il se met à donner des petits coups de babouche sur le talon de l’infortunée en murmurant: “Sors! Sors!”. D’accord, il n’y a pas de quoi télégraphier au New England Journal of Medecine, ce n’est pas une technique de pointe mais ça semble fonctionner. La dame ne houhouhou plus, elle se calme et semble s’endormir dans un rêve sans fin, comme dit le poète. Tout rentre dans l’ordre. Entretemps, une hôtesse a informé le pilote (espagnol) de l’avion et ce dernier m’envoie quérir. Holà, qu’est-ce que c’est que ce bigntz, caballero?
Je lui narre la scène surréaliste dont je viens d'être témoin. Je finis en m’excusant de l’image archaïque que nous venons de donner de notre pays et lui assure que… Il m’interrompt en riant:
– Amigo, inutile de t’excuser. Je suis catholique et nous avons au Vatican, auprès du Pape, un exorciste officiel. Si vous êtes arriérés, alors nous le sommes aussi.– J’aime bien cet Espagnol.– Pendant le reste du vol, j’ai joué avec l'idée de proposer à mon PDG de créer un poste officiel d’exorciste de la RAM –si le Vatican en a un, pourquoi pas nous?– Tu l’as fait?– Finalement, j’y ai renoncé. Avec ce sens grinçant de l’humour qui le caractérisait, il aurait été capable de me nommer, moi, à ce poste –et de me payer un salaire de fqih…