Au cours d'une cure de repos dans une ville française, cure imposée par les médecins pour soigner un surmenage persistant, votre correspondant n'a pas chômé -ce qui contredit l'idée même de cure de repos, mais passons... On ne se refait pas.
Donc, prenant langue avec l'élément local devant une belle église du 19e siècle (faux gothique trop symétrique pour ne pas éveiller les soupçons), j'apprends par ledit élément local (une enseignante catho très sympathique) que se déroule dans cette ville une guerre de religion larvée.
Voici les faits: lorsque le curé rencontre l'imam du coin, ils se saluent fort cordialement et entament toujours un brin de causette. L'imam ne manque alors jamais de demander, l'air faussement détaché, à monsieur le curé le nombre de ses ouailles, plus précisément le nombre de celles qui ont assisté à la messe du dimanche.
- Quelques dizaines, marmonne le curé qui sait bien ce qui va suivre.
- Ah bon, s'étonne candidement l'imam (ah, le bon apôtre!) et il ajoute, l'air de rien:
- Vendredi, ils étaient mille dans ma mosquée, pour écouter mon prône.
Or, miracle, le curé vit naguère entrer en son église un Marocain qui prit rendez-vous avec lui pour parler d'une affaire importante. Le jour dit, le jeune Marocain apprit à l'homme d'Eglise qu'il était attiré par la religion catholique. De fil en aiguille, les choses se précisèrent et le jeune homme se convertit effectivement au christianisme version bulle papale et mule du pape.
Qui arborait un sourire éclatant lorsqu'il rencontra récemment, rue Notre-Dame (ça ne s'invente pas...) son ami imam? Notre brave curé, qui apprit à l'autre, consterné, que son plus récent paroissien s'appelait Abdelmoula (en fait, je dis Abdelmoula au hasard, n'ayant aucune notion du prénom du gus).
L'imam objecta l'impossibilité de la chose (l'islam récapitulant à la fois le judaïsme et le christianisme, revenir à celui-ci serait une forme de régression) mais le curé s'offrit à lui présenter ledit Abdelmoula, un missel à la main et sur le point de devenir officiellement Jean-Pierre. L'imam déclina l'offre, le sourcil froncé.
L'incident eut deux conséquences: d'un côté, l'imam se mit à prêcher chaque vendredi la gravité du pêché d'apostasie (le fameux irtadd) et le curé se mit en chasse pour trouver d'autres mahométans susceptibles d'être séduits par le message d'amour du Christ.
On en est là dans cette ville où j'essaie de me refaire une santé: c'est une espèce de mercato d'hiver où chacun essaie de recruter les joueurs de l'équipe adverse.
Bah, me suis-je dit dans ma chambre spartiate de la clinique, en regardant au loin couler la Garonne, au moins ce mercato a toutes les apparences de l'urbanité et messieurs le curé et l'imam se saluent chaque jour et se serrent la main. Si toutes les guerres de religion se déroulaient de façon aussi pacifique, le monde irait beaucoup mieux!