Les cafétérias des universités sont des lieux magiques. Vous ne savez jamais qui va s’asseoir à côté de vous ni quelle conversation va s’ensuivre.
L’autre jour, alors que j'étais plongé dans l'activité périlleuse de laper ma soupe tout en lisant une revue, voilà qu'apparaît mon collègue Steve, psychologue d’élite, avec un croque-monsieur et une bière. Il s'assoit sans façons en face de moi.– Bonjour collègue.
– Bonjour.
– Tu lis quoi?Je lui montre:
– Un article de mon ami Omar Saghi dans TelQuel.
– Et que dit ton ami?
– Que tous les États faillis (Somalie, Afghanistan, Yémen, etc.) sont curieusement ceux où les femmes sont des citoyens de second rang, sans influence sur la vie publique. Même l’Arabie saoudite serait un pays failli n’était la manne pétrolière.
Steve opine du chef.– Ton ami Omar a raison. Mais connaît-il les bases physiologiques de ce qu’il constate?
– Qui sont…?
Steve dépose son croque-monsieur, s’essuie le bout des doigts avec une serviette en papier puis me tapote le front comme si j'étais un vulgaire Papou à l’Exposition Coloniale de 1931.
– Là se niche la grande merveille de l’Univers: le cerveau humain. Mais c’est une merveille construite sur un principe pervers. Là (il me malaxe l’occiput), il y a le cortex, siège de l’inventivité, de l’imagination, de tout ce qui nous fait homme et non raton-laveur. Mais là (il me tritouille le bas du crâne) se trouve ce qu’il y a de plus primaire: le striatum. Nous avons le même striatum que les souris ou les lémuriens et il n’a que trois objectifs: nourriture, sexe, domination. Et voilà le défaut de câblage de l’homme: son superbe cortex est au service du très primitif striatum. Quoi qu’il puisse inventer, c’est le striatum qui s’en servira.– Tiens, je me souviens avoir écrit, il y a quelques années, un billet sur un citoyen de Bahrain qui, dès qu’il fit l’acquisition de son premier smartphone, s’en servit pour répudier sa femme par SMS.
– Exactement! Le cortex invente cet objet extraordinaire qu’est le smartphone, le striatum du bahraini s’en sert pour se débarrasser de sa rombière et aller illico à la recherche d’une nouvelle partenaire sexuelle.– Dommage que le cortex soit soumis au striatum et non l’inverse.
– Oui. C’est comme si on mettait un superordinateur Cray au service d’un sale gosse de six ans.
– Et le rapport avec l’article de Saghi?
– Ah oui. Il se trouve que le striatum des femmes est différent de celui des hommes: la volonté de domination ne s’y trouve pas. C’est pourquoi les États faillis sont entièrement masculins: c’est la guerre de tous contre tous et si les ressources sont rares, au lieu de coopérer comme le feraient les femmes, messieurs les hommes préfèrent se massacrer les uns les autres. Ils ont un striatum guerrier, en somme. Ensuite, le cortex invente des prétextes. Sunnites contre chiites, au Yémen? Tu parles… C’est la pénurie générale, le manque d’eau et l'omniprésence des hommes qui produit la guerre civile.
- Mais comment en sommes-nous arrivés là?- L’évolution, cher collègue, l’évolution! Pendant des millions d’années, l’homme avait intérêt à massacrer son rival pour répandre ses gènes, alors que la femme voulait la paix pour élever ses enfants. Ce sont ces deux caractères qui ont été sélectionnés par l’évolution, ce qui fait que les femmes sont plus paisibles, plus altruistes, en somme meilleures. Pourquoi crois-tu que les pays scandinaves sont les plus heureux du monde? Parce que les femmes y sont au pouvoir. Tu viens du Maroc, n’est-ce pas? Vous avez intérêt à mettre des femmes aux responsabilités si vous voulez une société meilleure.
– Aragon disait ‘la femme est l’avenir de l’homme’.
– Aragon l’a peut-être dit, mais c’est par Darwin qu’on l’explique.
– Tu sais, Steve, je viens d’un pays où beaucoup de gens ne croient pas au darwinisme. Que leur dire alors? Que Dieu a créé, de sa propre volition, les femmes meilleures que les hommes?
Steve mâchouille son croque-monsieur, pensif. Puis :- À chacun sa vérité…