Le maire de Rotterdam, dont je m’honore d'être l’ami, a beaucoup de qualités: c’est un travailleur acharné, il a le sens du contact humain et il est intelligent. Mais même un homme intelligent peut parfois faire preuve de naïveté. On en a eu une preuve la semaine dernière.
Au cours d’une émission de radio, Ahmed Aboutaleb a voulu faire preuve de didactisme. Pour mieux expliquer aux auditeurs que les mots "salafiste" et "jihadiste" sont ambigus, "polysémiques" comme disent les universitaires et délicats à manier, il a dit deux choses qui sont tout à fait sensées mais dangereuses:
1. Tout musulman est quelque part "un peu" salafiste.2. Moi, Ahmed Aboutaleb, je suis "jihadiste" si on définit correctement le mot.
Et voici son explication:
Si on prend "salafisme" au sens étymologique, le mot exprime seulement une nostalgie pour un Âge d’or (peut-être imaginaire) où les hommes étaient pieux, honnêtes, soli-daires, courageux, etc. Tout musulman ressent cette nostalgie quand il regarde le monde actuel, dans lequel les hommes ont plutôt tendance à être corrompus, fourbes, égoïstes, etc. En ce sens, tout musulman, lorsqu’il regrette cet Âge d’or des premières générations de l’islam, est "salafiste".
Si on prend le mot "jihad" dans son sens le plus général, il signifie simplement "faire de son mieux", consacrer tous ses efforts à faire le bien, à s'améliorer personnellement, etc. "Je me lève chaque matin avec la ferme intention de faire de mon mieux pour ma ville de Rotterdam et pour mes administrés. En ce sens, je suis un jihadiste".
On peut discuter l'exégèse historique et étymologique de Aboutaleb, mais il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un honnête homme qui dit des choses raisonnables.
Hélas, nous vivons dans une époque marquée par le mensonge, le populisme et les fake news (que je propose d’appeler désormais les faux faits– copyright le360.ma.) Aussitôt l’interview diffusée sur les ondes, tout ce que le pays compte de populistes, de racistes anti-Marocains et de débiles quasi analphabètes se dressèrent comme un seul crétin et se mirent à pousser des cris d’orfraie:
– Horreur et damnation, le maire de Rotterdam, le plus grand port du monde, notre fierté nationale et notre machine à cash, est un jihadiste!
Le sinistre Geert Wilders, le parrain des populistes, des xénophobes et des ânes, exigea immédiatement la démission de Aboutaleb. C’est tout juste s’il ne demanda pas qu’on envoyât d’urgence à Guantanamo ce suppôt de Bin Laden.
Bien entendu, Wilders, qui est une crapule mais n’est pas complètement stupide, sait très bien ce que Aboutaleb a vraiment dit mais le populisme est consubstantiellement lié au mensonge. C’est même l’exact contraire de la recherche de la vérité.
C’est pourquoi il faut méditer la mésaventure de Aboutaleb. La conclusion est attristante mais elle s’impose: pour contrer le populisme et la bêtise humaine, il ne faut pas essayer de faire preuve de finesse ou d’intelligence. La lutte contre le populisme, c’est, pour reprendre une formule des années 30, "front contre front". Le combat sera long et dur…