Ayant soutenu un jour une thèse d’économie à Paris, on me demande parfois ce que je pense du bitcoin. Voici, en gros, ma réponse.
Supposez que vous achetiez un bitcoin. Quelle est sa valeur? Vous me dites:
– Attends, je regarde le cours du jour...
Non, ne regardez pas le cours du jour. Ce que je demande, c’est: quelle est sa valeur intrinsèque?
L’or, par exemple, est un métal précieux, relativement rare, qui a une certaine valeur intrinsèque, une certaine “désirabilité“, en dehors de son emploi en tant que “monnaie“. Même si plus personne ne l’utilisait en tant que monnaie (donc sous forme de pièces d’or), il conserverait quand même une certaine valeur– pour ne pas dire une valeur certaine... Cette valeur repose sur le métal lui-même, l’or donc.
Mais le bitcoin?
Sur quoi repose sa valeur?
Eh bien, camarades, sur rien. Voilà la vérité toute nue.
Vous avez déjà touché un bitcoin, vous l’avez humé, léchouillé, mordu? Non, car il n’existe pas, en fait.
Mais z-alors?
Mais z-alors, le cours qu’on affiche tous les jours est totalement virtuel. Il repose non pas sur une valeur mais sur une croyance. Nous croyons qu’il vaut vraiment, disons 3000 dollars. Et nous croirons demain qu’il en vaut 5000 ou 3675 ou n’importe quoi. Tant qu’il y a assez de gens qui partagent cette croyance, pas de problème: ils pourront continuer à commercer en bitcoin et sa “valeur“ continuera de croître ou de décroître, et d’être affichée sur les panneaux idoines.
Mais si un jour la croyance s’effiloche ou se perd, si plus personne ne veut être payé en bitcoins, eh bien ce jour-là sa valeur s’effondrera et finira à exactement zéro. Tant pis pour tous ceux qui posséderont encore des bitcoins, achetés avec de vrais dollars, euros ou dirhams. Ils n’auront plus que leurs yeux pour pleurer.
Perspicace comme je te connais, cher lecteur du 360.ma, tu m’objectes:
– Mais n’est-ce pas le cas de toutes les monnaies? Elles ne “fonctionnent“ que parce que nous y croyons! Sinon, un billet de banque, ce n’est qu’un bout de papier!
Pas tout à fait, camarade, pas tout à fait.
Reprenons le raisonnement. Au départ, la valeur de l’argent était toujours fondée sur un métal, l’or ou l’argent, qui avait donc une certaine valeur intrinsèque. Par exemple, un billet d’un dollar (regardez bien ce qui était écrit en toutes lettres sur les vieux billets!), ce n’était qu’une promesse écrite faite par la banque de donner l’équivalent en or d’un dollar sur simple présentation dudit billet à l’un de ses guichets.
(Avant la création de la FED en 1913, qui centralisa et unifia la création de billets, certaines banques avaient leur guichet unique au milieu d’un marécage infesté de crocodiles pour éviter qu’un mauvais coucheur ne vînt effectivement changer en or les billets qu’elles avaient émis…)
Vint alors le président Richard Nixon qui décida, un beau jour de 1971 (très exactement le 15 août 1971), de suspendre la convertibilité en or du dollar pour éviter que tous les zigotos qui détenaient des dollars de par le vaste monde ne vinssent exiger du bel or contre le papier ricain. (Les States n’avaient tout simplement plus assez d’or, ayant imprimé trop de dollars pour financer la guerre du Vietnam.)
Donc, suivant le raisonnement esquissé plus haut, si ce jour-là la croyance universelle dans le dollar s’était effondrée, sa valeur aurait chuté jusqu’à zéro. Mais cela ne se passa pas ainsi. Pourquoi? Parce que chaque dollar avait cours légal aux Etats-Unis. Concrètement, El Haj Tartempion qui avait cent billets de dix dollars en 1971 lorsque Nixon prit son extraordinaire décision, ne pouvait plus les échanger contre de l’or au guichet d’une banque américaine... mais rien ne l’empêchait d’aller aux États-Unis acheter des hamburgers, des jeans ou l’œuvre complète de Faulkner (car El Haj était un grand amateur de littérature).
Tout cela parce que le dollar continuait d’avoir cours légal et forcé partout aux Etats-Unis, dans tous les magasins, les cinémas, les piscines, bref partout, quoi. Et si El Haj n’avait pas envie de prendre l’avion pour aller dépenser là-bas ses dollars, il se trouvait toujours quelqu’un pour les lui changer contre des dirhams ou des francs ou des pesetas, quelqu’un qui avait, lui, besoin ou envie d’acheter des biens vendus aux States.
Maintenant, amis lecteurs, je vous pose une question, une seule:
– Dans quel pays le bitcoin a-t-il cours légal et forcé ?
(Une indication: “cours légal et forcé“ suppose un État dont c’est la monnaie officielle, un Etat donc une police, une armée, une justice. Si un marchand refuse de prendre vos dirhams ou vos euros pour payer la belle chemise que vous venez de décrocher du présentoir, vous pouvez toujours aller quérir un policier pour obliger ledit marchand à accepter votre bel argent. C’est ça, le cours forcé.)
Alors je repose ma question:
– Dans quel pays le bitcoin a-t-il cours légal et forcé ?
Oui, miss Daouia, qui êtes assise au premier rang, “nulle part“!
Nulle part! C’est la bonne réponse. Bravo.
Donc si la croyance en la valeur du bitcoin s’effondre, elle ira directement à zéro.
Ai-je besoin d’ajouter ne serait-ce qu’un gazouillis?