Parlons sous!

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ChroniqueNe prenez pas cet appel pour argent comptant! Il ne s’agit ici ni de gestion de porte-monnaie, ni de l’art de l’économie et encore moins de monnaie sonnante et trébuchante. Mon univers, ce sont les mots…

Le 12/02/2022 à 11h03

Ne prenez pas cet appel à la discussion pour argent comptant! Car il ne s’agit ici ni de gestion de porte-monnaie, ni de l’art de l’économie et encore moins d’une quelconque monnaie sonnante et trébuchante.

Mon univers, ce sont les mots. Sans doute parce qu’un vocable d’apparence anodine, employé au quotidien, nous révèle si on creuse un peu, malgré quelques éléments arbitraires du langage, des aspects surprenants, englobant l’histoire et l’anthropologie, voyageant à travers les méandres de la géographie, rapprochant les peuples et les ethnies…

El-Flous, El-Flous, tout le monde en parle, tout le monde aspire à en avoir mais connaissons-nous vraiment les dessous du mot?

Voici donc une petite ébauche sans prétention autour de l’univers linguistique de l’argent, invitant à d’autres pistes de réflexion.

La racine FLS existe dans les dictionnaires encyclopédiques de langue arabe, tel le Lissan al-‘Arab d’Ibn Mandhour, datant du tout début du XIVe siècle, regroupant des données plus anciennes, dans le sens de monnaie.

Du même champ sémantique se trouve la notion d’al-iflas, état de ruine qui fait passer de la possession du précieux dinar d’or au fels en cuivre ou en bronze.

Dérivé du latin denarius, dans le sens de dizaine, le dinar était répandu à travers le bassin méditerranéen.

Il donne le denier, dont l’un des exemples durant l’Antiquité est fourni par le monnayage de Juba II, roi berbère de Maurétanie (correspondant au nord du Maroc actuel).

Plusieurs spécimens frappés sous son autorité furent à ce titre trouvés en 1906 près de l’emplacement de la cité antique de Banasa, dans la plaine du Gharb.

Durant l’ère islamique, le dinar fut en vigueur au Maroc au sein de l’Emirat de Nekour dans le Rif ou chez les Beni Midrar, maîtres de la mythique cité de l’or, Sijilmassa. Tout comme il le fut chez les Almoravides dont le dinar est appelé, par altération de leur nom, «maravedi» en Espagne et «marabotin» dans la péninsule ibérique et dans le Midi de la France.

Sans oublier le dinar frappé par les successeurs almohades, mérinides, wattassides ou saâdiens.

Sous les Alaouites, des pièces d’or étaient émises à l’instar du dinar bunduqi (bendqi en langue courante) pendant les règnes des sultans Moulay Ismaïl, Sidi Mohamed ben Abd-Allah ou Moulay Abd-Rahmane.

Thésaurisées, elles disparurent toutefois de la circulation à la suite de la crise financière née de la guerre de Tétouan et les clauses du traité de paix qui avaient asséché le Trésor.

Pour l’anecdote, le bendqi est assimilé au sequin de Venise (cité qui est dite en arabe «Al-Bunduqiyya») du fait de la correspondance de leurs poids.

Par la magie des emprunts, le mot sequin va chercher lui-même ses origines lointaines dans la très arabe Dar Sikka (littéralement Maison de la frappe) qui a donné la Zecca en Italie, Hôtel des monnaies de Venise, ainsi que le zecchino (pièce d'or vénitienne) et de là, le sequin, en usage en Italie et dans les pays du Levant.

Dans le même ordre d’idées, le mot chèque est rattaché à cette même souche arabe (sakk).

Il est attesté qu’avant la prise de Jérusalem par les croisés, le monde musulman faisait usage à la fois de la suftaya (lettre de change) et du sakh (chèque), facilitant le financement du commerce international et évitant les risques liés au transport et autres transferts.

Autre valeur sûre: l’argent.

Le dirham (issue de la drachme grecque) est frappé au Maroc pendant le règne idrisside dans les différents ateliers monétaires près de mines argentifères du Moyen Atlas, de la vallée du Toudgha, etc.

La mozona, monnaie divisionnaire, initialement en argent, en constitue le quart de l’unité et porte un nom dérivé de l’arabe mawzouna dans le sens de pesée.

Elle est divisée à son tour en monnaie de cuivre: el-fels.

Dite au pluriel folous, c’est une pièce en cuivre, parfois en bronze, ancienne dans le monde musulman, datant du règne omeyyade.

De forme carrée durant le règne de la puissante principauté de Dila, el-fels est appelé alors «usqubi», en référence à Segovia selon l’un des nombreux et précieux renseignements fournis par Daniel Eustache dans son monumental Corpus des monnaies alaouites.

El-fels fut en cuivre sous le règne du premier sultan de la dynastie, Moulay Rachid.

Plus tard, une de ses subdivisions fut le Zelaghi, de zalagh, nom berbère désignant le bouc, rappelant Tazalaght, une mine de cuivre du Souss fréquentée sans doute par ces caprins. 

En lui-même, le terme fels, est dérivé de follis, pièce introduite dans l'Empire romain à la fin du IIIe siècle et qui a livré quelques trouvailles notamment à Volubilis.

A partir de là, la reconstitution étymologique nous conduit à une espèce de sac en cuir servant de contenant à la manière d’un grand porte-monnaie.

Mais comment empêcher notre esprit de voguer vers le terme amazighe afullus, lui-même provenant probablement de l’égyptien?

Désignant le petit de la poule, volatile apparu en Egypte depuis l’Asie, la darija en a gardé jusqu’à nos jours le mot fellous.

Dans la Grèce antique, le terme Polos désigne le plus petit de chaque animal.

Il a donné, en latin, le terme Pullus, qui a la même définition, avant de s’appliquer au poulet ou au coq avec l’apparition de ce volatile en Italie.

La représentation symbolique du coq sur les monnaies remonte à la Grèce archaïque et continue à travers les aires géographiques.

Il ne serait donc pas impossible que le terme Flous fasse référence aux pièces à l’effigie de ce volatile et dont l'un des célèbres représentants est l’écu d’or ou demi-Louis.

Appelé pour cela en dialectal Louize ou Nsas, il est arboré par nos aînées comme parure, avec collier et boucles d’oreilles quand il ne fait pas partie de la dot de la mariée.

Prisé aussi comme bijou, porté sous forme de médaillon, cette autre pièce, «Debloun» ou doblón (poids double).

Monnaie espagnole, elle figure parmi les pièces étrangères en circulation au Maroc et acceptés dans les caisses de l’Etat au XIXe siècle.

C’est durant cette époque, précisément en 1882, que fut mis en place au Maroc un nouveau système monétaire avec l’adoption du rial marocain en argent, dit du nom de son instigateur royal: Riyal Hassani.

Pour sa part, le premier billet, de la valeur de 20 rials, fut émis en 1910.

Manifestement sans grand succès, face à ce qui a pu être considéré à l’époque avec défiance comme un dévoiement de la monnaie réelle et de l’économie.

Un peu moins de deux siècles plus tôt, à propos du système de Law, Montesquieu écrivait dans ses Lettres persanes, prêtant sa plume à Rica avec son art inégalé du pastiche oriental, que le roi de France était un grand magicien: «il exerce son empire sur l'esprit même de ses sujets; il les fait penser comme il veut. S'il n'a qu'un million d'écus dans son trésor et qu'il en ait besoin de deux, il n'a qu'à leur persuader qu'un écu en vaut deux, et ils le croient. S'il a une guerre difficile à soutenir, et qu'il n'ait point d'argent, il n'a qu'à leur mettre dans la tête qu'un morceau de papier est de l'argent, et ils en sont aussitôt convaincus».

La monnaie virtuelle et le bitcoin n’étaient pas encore nés!

Par Mouna Hachim
Le 12/02/2022 à 11h03