Assise au soleil à méditer sur le sort de l’humanité, je suis surprise par un vrombissement. Je lève la tête et que vois-je? Un avion. Je vous jure, un avion dans le ciel, qui roule, machi style waquèfe, non, il roule et très bas pour atterrir à l’aéroport Mohammed V. J’étais comme un enfant qui découvre un engin volant. Mon corps fut submergé d’une joie intense. Juste pour un avion! Avant la pandémie, cela n’attirait même pas mon attention. Comme quoi, on ne connaît la valeur d’une chose que lorsqu’on en est privé! L’avion signifiait que nous sommes au bout du tunnel, que la vie reprend son cours normal, du moins je l’espère.
Allaaaah, un avion qui vole! ça faisait si longtemps!
Les aéroports européens ont été pris d’assaut par nos compatriotes expatriés. Que de pleurs lors des embarquements. Déjà que nous autres, Marocains, nous avons le cœur hchiche (tendre) et les larmes faciles, mais là c’était exceptionnel: un an et demi d’angoisses, d’incertitudes, d’espoirs de revenir à lablyida lahbiba (bled chéri).
Certains ont perdu des personnes chères qu’ils n’ont pas pu accompagner à leur dernière demeure. D’autres sont tenaillés par elwahche (intraduisible), l'envie viscérale de voir des gens qu’on aime et qui nous manquent. Lakbida s3iba (intraduisible). Nous les Marocains, nous pouvons aimer par deux organes: le cœur et le foie. Le cœur est le foyer des émotions, de la sensibilité et de l’amour, mais l’amour quand on est amoureux. Le cœur est un muscle essentiel à la circulation du sang. Il est animé de contractions rythmiques régulières et agit comme une pompe qui envoie du sang vers tous les organes. C’est pour cette raison que quand on est amoureux, on a des palpitations. Enfin, je suppose!
Le foie, alkabda ou lakbida est le foyer de l’affection, de la tendresse, de l’attachement, du lien familial. C’est aussi le lieu du lien entre la mère et son enfant. Le foie est l'organe le plus volumineux de l'organisme humain. Il peut donc contenir tout l’amour d’une mère pour ses enfants. Enfin, je suppose!
Notre corps contient deux organes différents pour stoker l’amour et l’affection. On dit d’une personne qui s’est liée à une autre par de l’affection: rabbite 3lihe alkabda. On désigne les petits-enfants par alkabda lam3awda (le foie renouvelé), un amour nouveau, intense. L’amoureux peut ressentir l’amour dans le foie. A son chéri ou chérie, on dit kbida dyali (mon petit foie). Chekkara, le grand musicien, chantait: lakbida jarrahtini, khali annoume iddini (mon petit foie tu m’as blessé, laisse le sommeil m’emporter).
Bref, les cœurs, les foies et les émotions débordaient dans les aéroports. L’attente a été si longue depuis le début de la pandémie, que les voyageurs redoutaient d’être empêchés d’arriver au bled. Mais dès que les avions ont décollé, le rêve se réalisait. Les voyageurs applaudissaient, chantaient ou récitaient des versets du Coran. A l’annonce de l’atterrissage… Le délire! Dès que les roues des avions ont effleuré le sol, de longs et forts applaudissements ont fusé, accompagnés de youyous.
Des voyageurs ont chanté l’hymne national. Une liesse qui n’a d’égale que l’intensité des troubles dus à la pandémie. Avant même que l’avion ne s’immobilise, les voyageurs ont détaché leur ceinture pour plonger les uns dans les bras de l’autre, pleurant, riant, hurlant leur joie. La vérité? Je ne les ai pas vus, mais ça ne pouvait que se passer comme ça.
Dès qu’ils sont mis les pieds à terre, les bras se sont levés vers le ciel: des remerciements adressés à Dieu et des souhaits de longue vie au Roi pour avoir initié la baisse du prix des billets. Le tout accompagné de torrent de larmes de joie. La même liesse du personnel de l’aéroport: «3la slama akhouya, 3la slama akhti» «marhaba » (bienvenus).
L’aéroport, un lieu de passage stressant, tristounet, angoissant, est devenu un espace de joie, très chaleureux. Et quelle agréable surprise pour ces passagers, lorsqu’on leur a offert du lait et des dates, des roses, tout cela sous le rythme fou d’une troupe de gnaouas. Des personnes ont même embrassé cette terre m’barka mas3ouda (bénie). Tout cela, je ne l’ai pas vu, mais on me l’a raconté. Je vous jure.
La même liesse au port de Tanger MED, où les voyageurs ont été reçus par le gouverneur de la préfecture, les responsables de Tanger Med et de la Fondation Mohammed V pour la solidarité: dattes et lait et ambiance des plus festives avec une troupe musicale. Même accueil pour le ferry arrivé au port Béni Ansar de Nador. L’opération Marhaba a excellé. En outre, d’agréables surprises ont été annoncées: l’ONCF offre des réductions spéciales et le gouvernement offre une indemnité exceptionnelle de transport maritime, du 15 juin au 30 septembre 2021. Une opération de subvention coûtant à l’Etat plus de deux milliards de dirhams.
Rien n’a été laissé au hasard pour accueillir nos compatriotes et compenser pour eux les privations et les frustrations de ces derniers mois.
Nos compatriotes expatriés ont fait preuve d’une solidarité extraordinaire envers leurs familles au Maroc et envers les nécessiteux, à un moment où eux-mêmes étaient durement touchés par la crise économique. Ils méritent amplement l’accueil qui leur a été réservé.
Je leur souhaite également la bienvenue dans leur pays auquel ils demeurent solidement attachés. Et que notre ciel soit éternellement parsemé d’avions!