Le thé existe en Chine depuis plus de 5 000 ans. Au dix-septième siècle, Moulay Ismaïl le consommait, offert par les ambassadeurs anglais. Au milieu du dix-neuvième siècle, le thé arrive au Maroc. Les Britanniques en possédaient des plantations en Inde et ne pouvaient plus le commercialiser dans les pays slaves à cause de la guerre de Crimée. Ils se tournèrent vers le Maroc. Le thé s’est propagé par le port de Mogador (Essaouira) et par les âttara (colporteurs) qui desservaient les villes et les campagnes. Les nomades l’ont introduit en Afrique de l’Ouest.
Thé et théière sont inséparables de sinya (plateau.) Sinya signifie en arabe «chinoise». Vient-elle de Chine ou est-ce en lien avec le thé d’origine chinoise?
En cuivre, en métal argenté ou en argent, sinya est spéciale: deux plateaux avec trois pieds chacun. L’un contient les verres et la théière et l’autre, dara ou la’mara: une boîte pour le sucre, une pour le thé, un grand bol pour la menthe et un verre où l’on verse l’eau qui sert à laver les feuilles de thé.
Sinya, symbole de convivialité, de générosité, chantée par le groupe Nass Al Ghiwane. Les Houwara (sud du Maroc) chantent: wassaouni waldya ncharbe atay fi sinya (mes parents m’ont recommandé de boire le thé dans sinya).
Les chanteuses populaires al âounyates chantent, en jouant sur les mots atay et chay: atay mancharbou chay, kebbou kissane fe souanni, a houwa tani, ‘la Rabi chahro bered...
L’eau bouillait tranquillement sur le brasero en attendant sboula (épis), un filet de vapeur qui s’échappe de la bouilloire, sinon le thé mayatla’che (ne monte pas). L’eau pouvait bouillir dans lbabour (samovar). La personne chargée de la cérémonie du thé n’était pas choisie au hasard. C’est le chef de la famille, la personne la plus importante, ou parmi les invités, la personne que l’on veut honorer. Sinya donne du pouvoir, du prestige.
Si c’est une femme qui prépare le thé, elle s’assoie jambes croisées, cachées par une belle serviette brodée. Une autre personne, debout, l’assiste: elle prend la bouilloire, verse l’eau chaude dans la théière selon les instructions de celui ou celle qui prépare le thé. Le rituel est strict. Elle ou il ramène attasse et une serviette brodée pour que celle ou celui qui prépare le thé se lave les mains.
La cérémonie dure longtemps, entrecoupée par des discussions, des rires. Une poignée de feuilles de thé dans la théière, l’assistance verse dessus de l’eau bouillante. Celle qui prépare le thé remue le tout, verse cette eau, tachlila (rinçage), dans un verre. La théière est alors remplie d’eau et remise sur le braséro pour tchahare.
Patience! La théière est retirée du feu. La personne ouvre la boîte contenant de gros morceaux de elkaleb dial soukkar (pain de sucre). Elle prend un verre au fond épais, casse hayati, pour casser le sucre. Ou alors elle utilise un petit marteau en métal, cuivre ou argent. La théière retourne sur le braséro pour que le thé yatlake (infuse). La personne prend un bouquet de menthe, le secoue pour le rafraîchir. Elle le tord, pour qu’il lâche sa saveur et le met dans la théière.
Commence alors un ballet: verser le thé dans un verre et le remettre dans la théière, taytaqlabe ou taytragè’, pour faire fondre le sucre délicatement.
Interdit de remuer avec une cuillère, car le métal abîme le goût.
Le Sahraoui dit tanetiyi. Il prépare le thé avec amour et passion, lors de cérémonies qui durent longtemps. Une fois le thé prêt, il le verse dans 3 verres ou plus et le reverse dans la théière. Plus l’opération se répète, plus le thé taytâassale (se caramélise).
Le thé doit être bien sucré et concentré. Sinon c’est lma wa zgharite (l’eau et les youyous)!
Le thé est enfin prêt. La personne en verse un peu dans un verre et le donne à quelqu’un qu’elle veut honorer, pour qu’il le goûte. C’est après sa validation que le thé est distribué. Une habitude qui vient de la peur d’être empoisonné.
Comme personne ne savait à l’avance qui sera le goûteur, les gens s’abstenaient d’utiliser du poison. Nous parlons d’une époque bien lointaine!
Les verres sont alors remplis avec grâce: lever la théière très haut pour faire la cachkoucha (mousse) ou razza (turban), pour oxygéner le thé, mais aussi pour montrer la marque de la théière.
Les plus nantis étaient équipés d’ustensiles en argent ou métal argenté, que l’on nommait Raïte. Une argenterie ramenée d’Angleterre, de manichistère (Manchester), de marque Richard Wright, à partir de la fin du dix-neuvième siècle.
L’assistante présente le plateau de thé aux visiteurs. Personne n’a le droit de toucher au plateau pendant la préparation. Ce serait un manque de respect pour la personne qui prépare le thé. Il y a alors une pénalité: offrir un repas, du sucre ou autre gage. Pour mieux savourer le thé, il faut siffler en l’aspirant.
Dans plusieurs régions, Sahara, Ziz et Drâa, il faut accepter trois verres, sinon on vexe ses hôtes.
Selon les traditions, les visiteurs ne quittent jamais le salon si sinya y est encore posée: cela porte malheur aux filles de la maison qui ne se marieront jamais.
Naânaâ, (menthe) adoucit le thé et embaume l’air. Naânaâ de sqa (irriguée) ou bour, de Tiznit, Meknès, Brouje, seule ou avec takhlita (mélange) : menthe poivrée, absinthe, sauge, eau ou pétales de fleur d’oranger, origan, safran, ambre, musc… Que du plaisir!
Dire qu’à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, des religieux marocains avaient décrété que le thé est haram et qu’il fallait l’interdire car il éloigne de la piété!
Le rituel du thé et de la synia sont encore de rigueur chez les Sahraouis et les ruraux. Les citadins, eux, prépare le thé en deux minutes, à la cuisine, avec la bouilloire électrique, avec peu ou pas de sucre. Emblème de l’hospitalité marocaine, de notoriété internationale, le thé demeure la boisson favorite des Marocains qui en sont les premiers importateurs dans le monde.