Attaye (le thé), partie intégrante de notre culture!

Famille Naamane

ChroniqueAchaye (arabe classique), ataye (arabe dialectal), couleur de miel, est bien plus qu’une boisson chaude. Il est présent dans toutes les cérémonies, tristes ou gaies. Dans les foyers, les souks, les magasins, la théière est présente et il y a toujours un verre à offrir aux visiteurs.

Le 15/04/2022 à 11h59

Le thé existe en Chine depuis plus de 5 000 ans. Au dix-septième siècle, Moulay Ismaïl le consommait, offert par les ambassadeurs anglais. Au milieu du dix-neuvième siècle, le thé arrive au Maroc. Les Britanniques en possédaient des plantations en Inde et ne pouvaient plus le commercialiser dans les pays slaves à cause de la guerre de Crimée. Ils se tournèrent vers le Maroc. Le thé s’est propagé par le port de Mogador (Essaouira) et par les âttara (colporteurs) qui desservaient les villes et les campagnes. Les nomades l’ont introduit en Afrique de l’Ouest.

Thé et théière sont inséparables de sinya (plateau.) Sinya signifie en arabe «chinoise». Vient-elle de Chine ou est-ce en lien avec le thé d’origine chinoise?

En cuivre, en métal argenté ou en argent, sinya est spéciale: deux plateaux avec trois pieds chacun. L’un contient les verres et la théière et l’autre, dara ou la’mara: une boîte pour le sucre, une pour le thé, un grand bol pour la menthe et un verre où l’on verse l’eau qui sert à laver les feuilles de thé.

Sinya, symbole de convivialité, de générosité, chantée par le groupe Nass Al Ghiwane. Les Houwara (sud du Maroc) chantent: wassaouni waldya ncharbe atay fi sinya (mes parents m’ont recommandé de boire le thé dans sinya).

Les chanteuses populaires al âounyates chantent, en jouant sur les mots atay et chay: atay mancharbou chay, kebbou kissane fe souanni, a houwa tani, ‘la Rabi chahro bered...

L’eau bouillait tranquillement sur le brasero en attendant sboula (épis), un filet de vapeur qui s’échappe de la bouilloire, sinon le thé mayatla’che (ne monte pas). L’eau pouvait bouillir dans lbabour (samovar). La personne chargée de la cérémonie du thé n’était pas choisie au hasard. C’est le chef de la famille, la personne la plus importante, ou parmi les invités, la personne que l’on veut honorer. Sinya donne du pouvoir, du prestige.

Si c’est une femme qui prépare le thé, elle s’assoie jambes croisées, cachées par une belle serviette brodée. Une autre personne, debout, l’assiste: elle prend la bouilloire, verse l’eau chaude dans la théière selon les instructions de celui ou celle qui prépare le thé. Le rituel est strict. Elle ou il ramène attasse et une serviette brodée pour que celle ou celui qui prépare le thé se lave les mains.

La cérémonie dure longtemps, entrecoupée par des discussions, des rires. Une poignée de feuilles de thé dans la théière, l’assistance verse dessus de l’eau bouillante. Celle qui prépare le thé remue le tout, verse cette eau, tachlila (rinçage), dans un verre. La théière est alors remplie d’eau et remise sur le braséro pour tchahare.

Patience! La théière est retirée du feu. La personne ouvre la boîte contenant de gros morceaux de elkaleb dial soukkar (pain de sucre). Elle prend un verre au fond épais, casse hayati, pour casser le sucre. Ou alors elle utilise un petit marteau en métal, cuivre ou argent. La théière retourne sur le braséro pour que le thé yatlake (infuse). La personne prend un bouquet de menthe, le secoue pour le rafraîchir. Elle le tord, pour qu’il lâche sa saveur et le met dans la théière.

Commence alors un ballet: verser le thé dans un verre et le remettre dans la théière, taytaqlabe ou taytragè’, pour faire fondre le sucre délicatement.

Interdit de remuer avec une cuillère, car le métal abîme le goût.

Le Sahraoui dit tanetiyi. Il prépare le thé avec amour et passion, lors de cérémonies qui durent longtemps. Une fois le thé prêt, il le verse dans 3 verres ou plus et le reverse dans la théière. Plus l’opération se répète, plus le thé taytâassale (se caramélise).

Le thé doit être bien sucré et concentré. Sinon c’est lma wa zgharite (l’eau et les youyous)! 

Le thé est enfin prêt. La personne en verse un peu dans un verre et le donne à quelqu’un qu’elle veut honorer, pour qu’il le goûte. C’est après sa validation que le thé est distribué. Une habitude qui vient de la peur d’être empoisonné.

Comme personne ne savait à l’avance qui sera le goûteur, les gens s’abstenaient d’utiliser du poison. Nous parlons d’une époque bien lointaine!

Les verres sont alors remplis avec grâce: lever la théière très haut pour faire la cachkoucha (mousse) ou razza (turban), pour oxygéner le thé, mais aussi pour montrer la marque de la théière. 

Les plus nantis étaient équipés d’ustensiles en argent ou métal argenté, que l’on nommait Raïte. Une argenterie ramenée d’Angleterre, de manichistère (Manchester), de marque Richard Wright, à partir de la fin du dix-neuvième siècle.

L’assistante présente le plateau de thé aux visiteurs. Personne n’a le droit de toucher au plateau pendant la préparation. Ce serait un manque de respect pour la personne qui prépare le thé. Il y a alors une pénalité: offrir un repas, du sucre ou autre gage. Pour mieux savourer le thé, il faut siffler en l’aspirant.

Dans plusieurs régions, Sahara, Ziz et Drâa, il faut accepter trois verres, sinon on vexe ses hôtes.

Selon les traditions, les visiteurs ne quittent jamais le salon si sinya y est encore posée: cela porte malheur aux filles de la maison qui ne se marieront jamais.

Naânaâ, (menthe) adoucit le thé et embaume l’air. Naânaâ de sqa (irriguée) ou bour, de Tiznit, Meknès, Brouje, seule ou avec takhlita (mélange) : menthe poivrée, absinthe, sauge, eau ou pétales de fleur d’oranger, origan, safran, ambre, musc… Que du plaisir!

Dire qu’à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième, des religieux marocains avaient décrété que le thé est haram et qu’il fallait l’interdire car il éloigne de la piété!

Le rituel du thé et de la synia sont encore de rigueur chez les Sahraouis et les ruraux. Les citadins, eux, prépare le thé en deux minutes, à la cuisine, avec la bouilloire électrique, avec peu ou pas de sucre. Emblème de l’hospitalité marocaine, de notoriété internationale, le thé demeure la boisson favorite des Marocains qui en sont les premiers importateurs dans le monde. 

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 15/04/2022 à 11h59

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Quel beau voyage, malheureusement les générations d aujourd'hui n'y connaissent rien! On grandi avec jus sucré et boissons transformées coca... preuve une dentition qui laisse à désirer alors que le thé et la menthe sont riches au fluor... Pr klabe et chaklab, on dit pas tirer le thé ?!

Très beau récit qui m'a appris pour l'essentiel deux choses. La première :"Interdit de remuer avec une cuillère, car le métal abîme le goût." Scientifiquement, cela veut dire, je crois, que l'acidité du thé dissous les ions métalliques dans l'eau. la deuxième : "Comme personne ne savait à l’avance qui sera le goûteur, les gens s’abstenaient d’utiliser du poison. Nous parlons d’une époque bien lointaine!" En Europe, trinquer fortement était une tradition ancestrale qui permettait le transfert de la bière d'une chope à l'autre. Ainsi, on évide l'empoissonnement par la boisson.

Suite:versait le suc dans un verre,versait un peu d'eau chaude et le jetait au loin,remplissait la théière d'eau,la plaçait sur le feu,la retirait,mettait du sucre,après l'avoir cassé avec un verre,et de la menthe,laissait reposer,versait un verre,remettait un peu de sucre pour que le thé reste sucré même après les multiples demi-verres, enfin il servait le fameux nectar:un thé tout simplement fantastique qui n'a pas son pareil. Mon ami me jure qu'il revient chez son magicien théier ou théieur pour le revoir,lui exprimer sa reconnaissance et goûter le bon et merveilleux thé préparé avec amour et passion car,dit-il,depuis qu'il est en ville,il ne boit que du mauvais thé préparé à la va-vite.Merci de nous rappeler que le thé est l'un des piliers de notre identité arabo-musulmano-berbère.

Bjr professeure.Un ami à moi m'a raconté que lorsqu'il travaillait dans une campagne,il s'était lié d'amitié avec un homme généreux quoique archi-pauvre.Ce dernier,qui se nommait Ould Zarrouk,avait l'habitude d'inviter mon ami et ses collègues chez lui dans sa modeste demeure et leur servait le meilleur verre de thé. Le thé etait préparé selon un rituel et un cérémonial extraordinaires.Le thé de bonne qualité,le bon pain de sucre,la vraie menthe,la bouilloire,la théière debbana,les verres hayati,le plateau et la bonbonne de gaz étaient rangés dans une caisse en bois placée à portée de main du hôte.Tel un magicien,celui-ci sortait les ustensiles,les disposait devant lui,mettait la bouilloire sur le camping-gaz pour chauffer l'eau de la matmoura,mettait le thé dans la théière,le rinçait,

Que d'anecdotes tissées autour du thé et de celui qui le "monte".Oui ;ça se "monte",comme la prière...!qim ataye...! Il faudrait d'abord préciser que durant la première moitié du 20è siècle,dans les régions présahariennes,et le sud est de l'Anti_Atlas,pour ne parler que de ce que je connais,L'attaye est très rare est précieux...l faudrait avoir accès au "grandes maisons" pour en boire...!Les qualités des "monteurs",préparateurs d'attayes sont déterminées.Il est le maestro de la "galssa",l'assise..Il dirige les discussions,intervient avec tact pour des rectifications de tout genre..Et réanime en cas de blocage...! Attaye,disait l'un d'eux,enlève trois choses:la chaleur,le froid et la "qechaba" à celui qui le boit et ne le gagne pas.Dans notre imaginaire,Ataye est associé à Tassourte...!

Magnifique voyage dans le temps. Merci pour tous ces partages.

Ce que vous citez agréablement est parfaitement vrai ... pour une époque où les gens prenaient le temps de vivre, l'eau était naturelle, le thé non traité par des produits chimiques, la menthe poussait naturellement et la convivialité était recherchée. Autre époque, autres moeurs! Actuellement, l'eau est chargée de chlore, le thé très riche en résidus de pesticides et coloré artificiellement, la menthe irriguée par les eaux usées et chargée de pesticides et, pour noircir le tableau, plus personne n'a le temps de partager un peu de son temps, sauf exception, pour déguster un (ou plusieurs) verre(s) de thé à la menthe. Heureusement que Atay reste encore une tradition dans certaines de nos régions, avec tout l'attirail qui va avec et les longs moments de tchatche qu'il accompagne.

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