Depuis quelques jours, la petite Meryem Amjoun, neuf ans, qui a remporté un concours de lecture aux Emirats, est devenue un phénomène. Tout le monde la cite en exemple, en référence. C’est une héroïne, une icône nationale.
Le roi l’a appelée au téléphone pour la féliciter. Le ministre de l’Education nationale l’a reçue en tant que «fierté du Maroc et de l’école marocaine». Sa ville natale, Taounate, l’a fêtée. Les médias marocains ont salué sa «performance» sans oublier de rappeler, au passage, qu’elle a reçu une récompense de plusieurs dizaines de milliers de dollars.
Sur les réseaux sociaux, certains ont changé leur photo de profil pour mettre celle de la petite Meryem. Dans la rue, les cafés, les bars, même ceux qui ne connaissent pas son nom et ignorent quelle est la nature exacte du prix qu’elle a remporté, même ceux-là la saluent, la célèbrent et voient en elle «un ange», «un espoir», «un génie».
Tout cela est merveilleux, fantastique, et surtout attendrissant. Un poil excessif aussi… Comme si, en remportant un concours de lecture très médiatisé et très fortement doté, une petite fille avait restauré l’honneur et la fierté nationale.
Alors on peut s’interroger, se poser des petites questions.
Cette «mania», cette fièvre, cette hystérie collective qui a porté la jeune Meryem, renseigne peut-être sur l’état d’angoisse et de perte de confiance, d’estime de soi et des autres, dans lequel se trouve une grande partie de la société marocaine. Une société qui a besoin de champions pour s’identifier à eux. Et pour pouvoir rêver à «des lendemains qui chantent»…
Les «champions» que l’on offre à cette société ne sont pas des stars de la science, de la technologie, de la médecine et de toutes ces disciplines qui apportent un plus à la communauté. Nous sommes très loin de ces standards. Nos champions sont des athlètes ou des footballeurs, des vedettes du showbiz et des chanteurs, issus d’ailleurs des «concours» très médiatisés que sont Arab Idol, The Voice et tant d’autres.
Nous sommes dans le show, le grand spectacle, le pur divertissement. L'Arab Reading Challenge, qui vient de couronner la petite Meryem, pourrait-il être rangé dans la même catégorie?
Les jeunes candidats étant invités à lire et résumer un certain nombre de textes, le concours fait donc d’abord l’éloge de la mémorisation, et de l’apprentissage. En plus de l’interprétation. Pour gagner, il faut lire plus vite que les autres, et mieux assimiler, avant de séduire un jury…
Le principe de la «performance» et de la «séduction» n’est pas si éloigné des très «glamoureuses» émissions que l’on appelle les «talent shows», dans lesquels un jury, et parfois le public aussi, sont appelés à noter les candidats…
La folie qui a accompagné le succès de la petite Meryem est peut-être due à la surexposition médiatique de l’évènement, dont beaucoup ignoraient jusqu’à l’existence. Il est dû aussi, probablement, au montant de la récompense, qui a de quoi faire tourner les têtes (près de 120.000 euros, pas loin des montants accordés à un prix Nobel). Il doit sans doute beaucoup aussi au visage angélique de Meryem, à son extrême jeunesse et à son courage.
Cette folie doit beaucoup, surtout, à notre détresse, à notre soif de reconnaissance, de considération, et à notre quête désespérée des bonnes nouvelles, si rares dans notre environnement régional.
Ces questions et ces réserves étant posées, il faut bien sûr féliciter la petite Meryem et lui souhaiter un bel avenir. Avec l’espoir, surtout, que cette histoire ne constitue pas un poids et une pression sur ses petites épaules.