Je les appelle les soldats de Dieu. Les moujahidines, si vous voulez. Mais les vrais. Il faut revenir à la définition noble de toutes ces expressions qui ont été dévoyées, au point de nous faire peur désormais. Oublions ces histoires ridicules de «kouffars», de vengeance, et de sang qui coule, ce n’est plus de notre temps.
Le jihad aujourd’hui, le seul, le bon, c’est braver le danger et risquer sa vie pour sauver celle des autres.
C’est exactement ce que font plusieurs médecins et infirmiers de ce pays. Je n’oublie pas ceux qu’on appelle, avec quelque mépris, «les hommes de peine». Ils balaient, nettoient, essuient, lavent et relavent, au contact de la maladie, avec très peu de protection, pour un salaire égal ou inférieur au Smig.
Le jihad, que l’on interprète comme un appel à la mort, doit être au contraire un appel à la vie.
Depuis le début de la crise actuelle, plusieurs médecins sont morts, en exerçant leur métier. Ils ont contracté le virus parce qu’ils ont soigné des personnes malades. Certains ont même contaminé leurs proches, leurs familles.
Avant de tomber du Covid-19, ils ont contracté toutes les saloperies contagieuses du monde: la tuberculose en premier lieu, qui fait toujours des ravages au Maroc. J’en connais, des médecins, des infirmiers, des hommes et femmes de peine, qui ont attrapé cette maladie dangereuse en exerçant leur métier. Ils n’avaient pas forcément la couverture sociale pour être correctement pris en charge…
Le dicton marocain qui parle du «boucher se nourrissant de navets», s’applique à ces héros ordinaires du quotidien. Ils donnent aux autres ce dont ils se privent. Ils méritent tous les honneurs parce qu’ils sont tombés sur le champ de bataille, l’arme à la main. Leur arme, c’est le savoir et c’est le courage nécessaire pour partager ce savoir et sauver des vies.
On ne peut pas mesurer leur courage, ni l’évaluer. Pas vraiment. Mais pour avoir une idée, il suffit de penser à tous ces gestes, ces précautions, ce cérémonial, cette peur au ventre, que chacun de nous éprouve en sortant de chez lui par un temps de confinement.
Eux aussi, voyez-vous, ont des familles, eux aussi ont peur, eux aussi sont démunis face à la maladie. Mais ils ne se cachent pas. Ils partent «au front» chaque jour. Ils se jettent dans la fosse aux lions.
Nous avons pris l’habitude de ne rien leur pardonner, d’exagérer leurs travers, de minimiser leur apport. Le réflexe est de dire, les yeux fermés, sans réfléchir : «Tous des voleurs et des incompétents qui ont un tiroir-caisse à la place du cœur!».Tous, vraiment?
Mais à quelque chose malheur est bon, et il faut espérer que la crise actuelle réconcilie les Marocains avec ce personnel soignant, ces femmes et ces hommes de devoir qui se sacrifient sans compter.
J’ai appelé l’un de ces soldats de Dieu. Lui et moi avions fait l’école buissonnière et les 400 coups ensemble. Je m’inquiétais pour lui. Alors, mon ami, ça fait quoi d’affronter cette maladie si facilement transmissible? La réponse arrive après quelques secondes de silence: «J’ai l’impression de sauver des vies… Ma vie a enfin un sens!».