Les Arabes, amis du pire

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ChroniqueLe monde arabe n’est pas près de combler ce retard historique dont parlait Abdallah Laroui. Au contraire, ce retard s’allonge et se creuse encore, c’est un gouffre désormais.

Le 20/10/2018 à 14h57

Il est impossible d’échapper en ce moment à l’histoire de Jamal Khashoggi. Et quelle histoire! Ses détails macabres dépassent l’imaginaire le plus sordide. Le piège, la machination, le massacre, on parle de scie à os, de doigts coupés, d’un corps démembré à chaud sur des airs de musique classique…

Et que dire du cynisme incroyable des officiels. Et des Etats. Que dire des communiqués et des déclarations timides, hypocrites, des grands de ce monde, que l’on sent prêts à tourner la page pour ne pas perdre les contrats faramineux qui leur tendent les bras à Riyad?

Il faut vraiment s’accrocher et avoir le cœur solide à la lecture de ces détails…

Mais, au fond, une telle histoire aurait-elle pu se passer ailleurs que dans ce monde arabe (le consulat d’Istanbul est un territoire saoudien) qui continue de vivre hors du temps, hors du monde en quelque sorte, sans respect pour les droits et la dignité humaine?

Je viens de refermer le nouveau livre de l’excellent Alaa El Aswany («J’ai couru vers le Nil », puissant et glaçant à la fois, à lire absolument), et que nous dit l’écrivain égyptien? Que l’Egypte continue de se prendre pour la «mère du monde» et qu’elle n’oublie jamais qu’elle est la seule nation, le seul pays, le seul peuple, cités tant et tant de fois dans le Coran.

Bref, l’Egypte, locomotive et leader du monde arabe (par son histoire, sa culture et sa démographie) vit éternellement dans le passé, un passé bien sûr doré, fantasmé, rêvé, exagéré et finalement imaginaire. Et sinon? Eh bien rien! L’Egypte sort d’une révolution qui a été peut-être une duperie. La dictature, nous explique l’écrivain, n’a pas reculé, la corruption et l’injustice non plus. La torture est toujours endémique. Et la religion continue d’être utilisée pour freiner l’émancipation des esprits et légitimer la répression.

C’est à cela que ressemble, aujourd’hui, la fierté du monde arabe, la mère du monde, la terre des prophètes et des pharaons. C’est un pays que ses citoyens épris de liberté doivent fuir. Pas le choix. Parce que c’est un pays, semble nous dire El Aswany, qui rate tout, même ses révolutions.

A défaut de se construire un avenir, l’Egypte se construit un passé glorieux, magnifique, dans lequel elle n’a pas fini de se vautrer. Mais ça, ce n’est pas seulement l’Egypte mais tout le monde arabe. N’est-ce pas?

Corruption, fanatisme, sous-développement humain et scientifique, le monde arabe n’est pas près de combler ce retard historique dont parlait Abdellah Laroui. Au contraire, ce retard s’allonge et se creuse encore, c’est un gouffre désormais.

Dans les deux pays les plus emblématiques de ce monde arabe, l’Egypte «mère du monde» et l’Arabie Saoudite, terre des lieux saints de l’islam, on continue de régler ses problèmes à l’ancienne: en recourant à la violence, comme dans les temps anciens.

Le livre d’Alaa El Aswany et le scénario terrible de l’affaire Khashoggi sont donc là pour nous le rappeler, au cas où on l’aurait oublié. Les Arabes n’ont pas fini d’envoyer tous ces mauvais signaux au reste du monde. Et de se regarder le nombril, bien sûr, fiers de leur accomplissement. 

Par Karim Boukhari
Le 20/10/2018 à 14h57