Il y a quelques semaines, quinze femmes ont trouvé la mort, dans un village près d’Essaouira, à la suite d’une terrible bousculade. Les victimes étaient venues, comme des milliers d’autres femmes et hommes, chercher un «panier» contenant quelques produits alimentaires de base. Valeur estimée: 150 dirhams!
Au Maroc de 2017, on meurt encore pour un panier de 150 dirhams.
Bien sûr, ce n’est pas seulement la bousculade qui a tué ces femmes. Il y a la pauvreté, l’indigence. Il y a aussi l’incompétence des autorités locales, qui ont été incapables d’assurer la sécurité des citoyens pour cette séance de «ravitaillement».
Il y avait trop de monde et pas assez de moyens d’évacuation, aucune assistance médicale. Alors les barrières de sécurité se sont transformées en barreaux de prison. Les pèlerins ont été pris au piège, certains sont tombés, avant d’être piétinés par la foule en marche…
C’est tout? Non, il y a aussi autre chose. Hélas.
La plupart des pèlerins ont fait le déplacement plusieurs fois avant le jour du drame. Ils arrivaient et ils repartaient bredouilles, la distribution du «panier» ayant été plusieurs fois reportée. Certaines personnes venaient de loin, de très loin.
Un petit calcul nous amène à la conclusion suivante: pour bénéficier d’un panier de 150 dirhams, beaucoup de «pauvres» ont du dépenser bien plus que 150 dirhams. Alors, est-ce toujours la pauvreté et rien que la pauvreté qui a tué quinze personnes?
En fait, les pèlerins de Sidi Boulaalam n’étaient pas seulement venus chercher un panier mais la baraka. Celle du donateur, un fqih, qui distribue des vivres au nom d’Allah, du prophète et de tous les saints. Du pain béni, en somme.
Le drame dépasse alors la seule dimension alimentaire, voire économique. Il devient mystique aussi. Si la foi et les croyances ne tuent pas, elles peuvent rendre aveugle.
La bousculade de Sidi Boulaalem renvoie, qu’on le veuille ou non, vers les images de bousculades que l’on peut voir à la Mecque. Envoutés par la proximité du lieu saint, attirés par cette baraka providentielle et par ce miracle si proche, les pèlerins poussent, poussent…au point de ne plus savoir où mettre les pieds.
Je reviens sur cette histoire tragique, qui a marqué la fin de l’année 2017, parce qu’elle nous rappelle ce qu’on oublie souvent dans nos analyses: le citoyen a aussi sa part de responsabilité dans les dysfonctionnements de la société. L’éducation, qui est le point de départ de toute réforme, n’est pas seulement à l’école. L’école (c'est-à-dire l’Etat) éduque mais la maison éduque aussi. La rue éduque. La communauté éduque.
L’éducation n’est pas une simple affaire de diplômes, qui ponctuent notre parcours du primaire au secondaire, ensuite, pour ceux qui ont cette chance, au supérieur. Tous ces diplômes ne suffisent pas à garantir une bonne éducation. L’argent, non plus, ne suffit pas. L’éducation est aussi une affaire personnelle, individuelle. Elle implique un don de soi, un effort que l’on fait sur soi-même pour aller de l’avant. C’est une responsabilité personnelle aussi. Aide-toi et le ciel t’aidera.
Notre pays, j’allais dire nos pays, ont besoin de Jihad, mais pas contre Satan ni les «kouffars». Le Jihad contre la pauvreté. Le Jihad contre l’ignorance, comme disait Bourguiba. Et l’ignorance tue tout autant, voire plus, que la pauvreté.
Bonne fin d’année à tous.