Les choix vers lesquels semble s’orienter la France et une partie du monde pour lutter contre le terrorisme sont classiques et ressemblent assez aux choix faits même par un pays comme le Maroc: fermer les mosquées qui prêchent la haine ou, à défaut, chasser les imams les plus violents. Ce choix compréhensible sera-t-il suffisant? Probablement non.
Le terrorisme, tel qu’on le voit aujourd’hui, convoque plusieurs grandes questions de notre temps. La question religieuse est au cœur du problème, mais il existe d’autres problèmes et d’autres questions.
Le contrecoup du colonialisme, par exemple, est un vrai problème avec de nombreux dégâts collatéraux, dont le terrible mélange humiliation- hogra toujours vivace dans le monde musulman, puisque transmis de génération en génération.
La politique étrangère des grands pays occidentaux est un autre problème. Cette politique est très mal comprise et elle enfonce le clou en donnant aux musulmans d’aujourd’hui le sentiment que l’Occident est directement responsable de tous les conflits et de tous les problèmes dans le monde. Ce même Occident qui, pense-t-on, soutient Israël et empêche les Palestiniens de récupérer leurs terres, ce qui rajoute à la colère et au désarroi du monde musulman.
Mais ne nous y trompons, le plus grand problème du monde musulman, aujourd’hui, s’appelle l’éducation. Parce que c’est l’éducation qui exacerbe les questions soulevées plus haut et fait naître, dans le cœur et l’esprit du musulman moyen, la conviction qu’il est un être aimé par Dieu mais détruit par les assauts répétés de l’Occident (qui l’a colonisé, souillé sa religion et son identité, surarmé ses ennemis, fabriqué Israël et imposé les dictateurs qui le gouvernent et lui volent ses richesses).
Cette éducation fait croire au musulman qu’il est le nombril du monde. Il est certes sous-développé et endormi mais ce n’est pas de sa faute, pas de son fait. Lui, c’est un géant. Un géant victime d’arbitraire et d’injustice, qui sont le fait de l’Occident et de son allié sioniste. Un géant qui ne peut se remettre debout que s’il retourne à la vraie religion.
Comme on a pu le constater avec les derniers événements de Paris, tous les terroristes sont décrits de la même manière. Ceux qui les connaissent disent la même chose : «Je ne comprends pas, il aimait la vie et n’avait rien de radical, c’est une surprise totale ». La radicalisation et le passage à l’acte kamikaze seraient donc un phénomène rapide, brutal, surprenant et inattendu, comme un simple retournement de situation. C’est ce qu’on pense, mais est-ce vraiment le cas ?
Dans «Le mythe de Sisyphe», Albert Camus décrit le suicide comme un acte qui prend les voisins et les amis par surprise. Personne n’a vu le coup venir et le suicidé, pense-t-on, a simplement été victime d’un accès de folie, une illumination, un «accident». Le grand écrivain existentialiste démonte cette construction point par point et conclut que le suicide n’est que le couronnement logique d’une longue suite d’événements généraux et personnels.
Si on considère que le terrorisme est aussi une forme de suicide, les kamikazes d’aujourd’hui sont à ranger à côté des suicidés décrits par Camus il y a presqu’un siècle. Ou le suicide, et le terrorisme, comme résultat final et logique d’une longue préparation, une maturation, une éducation.
Aujourd’hui encore, on enseigne à nos enfants que les musulmans iront seuls au paradis et tous les autres brûleront en enfer. Même le pape. Même mère Teresa. Même Mandela. Même les enfants innocents. Tous en enfer, tous sauf nous, les enfants d’Allah.
Aujourd’hui encore, on dit à nos enfants que la vie ici-bas n’est rien comparée à la vie éternelle, au ciel, au paradis. On leur inculque l’idée que la vie, la vraie, est inférieure à la mort, que la vie n’est qu’une étape et presque un prétexte à la mort et au paradis.
Aujourd’hui encore, on apprend à nos enfants que la clé de la réussite, avant le travail, s’appelle le retour à la religion, la vraie, celle de nos glorieux et lointains ancêtres. Et qu’en dehors de l’islam, il n’y a nul salut pour l’ensemble de l’espère humaine.
C’est cette éducation qui prépare nos enfants à tomber comme des fruits mûrs dans les bras de Daech et d’autres organisations terroristes. Et cette éducation, cette «formation», ce lavage de cerveau, nous continuons à les dispenser même dans nos écoles et nos maisons.