Cette société toujours sur le point d’exploser…

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ChroniqueC’est dans la rue que l’on peut observer, ou pas, les fameuses valeurs de tolérance, de compassion, de solidarité, de respect de l’autre, et toutes ces grandes choses que l’on peut prêter à une société.

Le 13/02/2021 à 12h08

Comment savoir qu’une société vit bien ou mal? Il y a bien sûr les études sociologiques et les thèses, les articles, les chiffres, les courbes, les graphes, les pourcentages de ceci ou de cela. Tous ces éléments scientifiques peuvent vous apporter cette béquille, sur laquelle vous devez vous appuyer avant de pouvoir avancer et d’essayer de voir plus clair.

Mais il y a un moyen plus court, et plus simple, pour arriver à vos fins. Ce moyen, c’est les yeux, vos yeux, c'est-à-dire votre petite voix intérieure, qui ne se trompe généralement jamais et qui s’appuie sur l’instinct.

En ce qui me concerne, mes petits yeux et ma petite voix à moi me conduisent toujours, surtout lorsque je voyage loin de mon pays, à observer la rue, les scènes de rue, les détails de la vie quotidienne. Ça commence par les chauffeurs de taxi, qui sont des éclaireurs et qui n’ont pas d’équivalent quand vous voulez tout savoir, et vite, sur la «voix de l’autre», celle du petit peuple, de la rue. 

La voiture et le chauffeur ne font qu’un. La propreté, le bruit, le silence, tous les détails comptent. Le chauffeur peut engager la conversation sur un ton badin ou agressif, il peut choisir une musique d’ascenseur ou une radio d’informations non-stop, voire une émission religieuse. Il peut vous rouler au moment du paiement, brûler les feux, filer à toute vitesse sans respecter les priorités, vous aider à descendre vos bagages ou vous abandonner…

Ce chauffeur et cette voiture vous renvoient, tout de suite, un condensé de toutes les études scientifiques et sociologiques possibles.

Mais il y a mieux encore pour tâter le pouls d’une société. Les bagarres de rue. Pas besoin d’aller dans un quartier chaud, au fond d’un bidonville, ni au stade de foot au milieu d’un groupe d’ultras. Rien de tout cela. Parce qu’il y a plus simple et plus «objectif» encore. Regardez par exemple la manière dont les usagers de la route règlent leurs différends.

Que se passe-t-il quand un automobiliste brûle la politesse à un autre? Quand il lui prend sa place au parking? Quand une moto égratigne une voiture? Quand un piéton pressé essaie de traverser loin des passages cloutés?

C’est dans de telles situations que l’on peut observer, ou pas, les fameuses valeurs de tolérance, de compassion, de solidarité, de respect de l’autre, et toutes ces grandes choses que l’on peut prêter à une société.

Théoriquement, ces différends sont censés se régler dans le calme. Mais théoriquement seulement. Souvent, et c’est le propre des sociétés crispées, tendues, c’est la petite violence qui l’emporte. Même les klaxons ne suffisent plus, on en vient rapidement aux insultes, aux cris, puis aux poings…

Au Maroc et dans les pays du Sud, où les nerfs sont généralement à fleur de peau, on dit que cette petite violence est soi disant liée au caractère chaud et méditerranéen de ces sociétés. «C’est le soleil qui leur fait ça!». On parle aussi de questions liées à l’éducation et au niveau de vie. «Ils sont pauvres et mal éduqués, donc ils explosent à la moindre occasion!».

On trouvera même des experts capables de lier cela à la démocratie (ou son absence), et surtout à la marge des libertés (et donc au degré de répression) de ces sociétés.

Ce qui est sûr, c’est que la bagarre entre deux automobilistes en costume cravate, dans un quartier chic de Casablanca, a pratiquement la même valeur qu’une bataille de chiffonniers ou une rixe entre dealers pour des questions de «territoire», ou une bagarre générale à la sortie du cabaret, au bout de la nuit…

Cette petite voix intérieure vous dit: «Ce n’est certainement pas le soleil méditerranéen ou le vent atlantique qui les fait si facilement exploser»…

Par Karim Boukhari
Le 13/02/2021 à 12h08