Il est le chef du gouvernement, se trouve à la tête d’un Exécutif dont il est censé être la synthèse de ses différentes sensibilités politiques. Il s’exprime, et voyage à l’étranger, au nom du souverain. Mais il ne peut s’empêcher de succomber à ses premières amours, un tropisme pan-islamiste, en déphasage total avec le rôle qu’il doit jouer: celui d’un homme d’Etat. Au risque de se retrouver en désynchronisation avec sa propre mission, et le discours officiel sur lequel il a été élu, désigné, et pour lequel il est rémunéré. Et en la matière, Saâd-Eddine El Othmani est un homme brillant, un peu comme ce personnage d’un haut dirigeant, décrit par Gad El Maleh dans l’un de ses sketches, soit un Marocain évoluant en France qui, en pleine réunion et face à ses cadres, passe d’un français des plus châtiés, à un curieux sabir où, tout en roulant les R, il parle de stratégie «documentalisée».
La dernière trouvaille d’El Othmani? C’était au cours d’un échange qu’il avait eu au début de ce mois de février avec le Palestinien Ismaïl Haniyeh, chef de file du Hamas, à propos du «deal du siècle». Un entretien au cours duquel il a, de facto, cautionné ce parti radical palestinien, fermé à toute option de paix avec Israël. A titre de simple rappel, le Hamas est le prolongement de l’organisation des Frères musulmans, dont les membres diffusent une idéologie islamique universaliste, dont le PJD de ce même El Othmani se revendique secrètement. Moralité: pour ce parti, c’est, et ce sera toujours, «les frères d’abord!». Quitte à émettre des fausses notes, et sortir de son rôle d’un des principaux vecteurs du discours officiel du Maroc, qui prône la modération, la recherche d’une solution juste et équitable, celle de deux Etats pour cette région du Proche-Orient. En cela, que ce soit maladroitement ou intentionnellement, le chef du gouvernement discrédite son propre pays.
Autre énième merveille du Dr El Othmani: des pans entiers de l’économie, le textile en premier, sont actuellement fragilisés par un accord de libre-échange inéquitable avec la Turquie, menée (tiens!) par un autre PJD, acronyme lettre pour lettre de ce parti turc au pouvoir, au même référentiel que le PJD marocain. A cette grande différence près, dans le cas turc, il s’agit d’un parti omnipotent, qui trône à la tête de la 13e puissance économique mondiale. En clair, le Maroc ne fait pas le poids.
Une simple chaîne de supermarchés de quartiers est en train de faire une razzia, et lamine le maillage des petits commerces du Maroc, traditionnellement tenus par les Marocains du Souss. Tiens donc, c’est pourtant la région d’où vient le Dr El Othmani. Mais de cela, le chef du gouvernement n’a cure. Saâd-Eddine ne voit aucun problème dans le fait que le marché marocain des produits de consommation courante se retrouve noyé sous les produits turcs.
Et «BIM». Qu’à cela ne tienne, le PJD dirigé par El Othmani prend fait et cause pour «les frères d’abord», et tire à boulets rouges sur les autres enseignes étrangères, en faisant semblant d’oublier que celles-ci exposent et commercialisent des produits principalement marocains.
Les exemples ne manquent pas.
Ce même chef du gouvernement avait reçu, en octobre dernier, Anas Al-Abdah, président de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution syrienne, à la barbe certes finement taillée, mais bien réelle.
Et lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères, c’est encore lui qui avait failli nous conduire à une rupture des relations diplomatiques avec le Koweït, en se rendant, en marge d’un voyage pourtant officiel, auprès des membres de l’opposition…islamiste de ce pays. Le geste lui avait d’ailleurs coûté son poste.
El Othmani en a-t-il tiré une quelconque leçon? Que nenni.
C’est que derrière son allure de «premier de la classe», son attitude soigneusement lissée et ses discours rassurants sur la marche du pays, se cache aujourd’hui encore un militant du «programme» des «frères d’abord», épris du modèle turc et de son PJD.
Saâd-Eddine El Othmani, à la tête d’une coalition de plusieurs partis, donne toutes les priorité à …son parti, lorsqu’il s’agit de ses intérêts. Ceux du pays, eux, peuvent attendre. Quant à son action et à son bilan en tant que «Preum’s», on repassera.