Depuis que l’écrivaine Leila Slimani a consacré une chronique dans laquelle elle crie son indignation, suite à la condamnation de Hind Achabi à 2 ans de prison ferme et de son compagnon à 7 mois de prison pour adultère, nous avons reçu à le360 plusieurs messages et courriels de lecteurs. Certains demandent plus d’informations sur le sujet, d’autres affirment que le dossier est plus complexe.
Nous avons pris contact avec Me Mohamed Husseini Qarrout, avocat au barreau de Rabat chargé de la défense de Hind Achabi, qui nous a livré une version surprenante de l'affaire. Il affirme que les deux personnes, condamnées pour adultère, s’étaient mariées au Mali. Nous livrons son récit à l’appréciation des lecteurs.
Hind Achabi et Mohsine Karim-Bennani ne savaient peut-être pas que leur mariage allait basculer dans l’horreur. Ils avaient tout pour être un couple heureux. Elle est propriétaire d’une compagnie aérienne marocaine de luxe, Dalia Air. Il est entrepreneur, connu dans les milieux d’affaires casablancais. Ils convolent en justes noces et donnent naissance à deux filles… Reste que ce mariage ne fut pas du goût de l’ex-époux de Hind Achabi, Sadiq M., ambassadeur du Koweït en poste à Vienne (en Autriche), qui accuse son ex-femme de l’avoir «trompé», deux ans après avoir pourtant divorcé d’elle.
Un reniement de divorce qui a coûté sa liberté à la jeune femme d’affaires marocaine, 38 ans, condamnée en première instance à 3 ans de prison ferme, en novembre dernier. Une lourde peine ramenée en appel à deux ans de prison ferme, assortie d’une amende de 2 millions de dirhams, le 21 mars 2017. Son mari, Mohcine Karim-Bennani, a été acquitté du premier chef d’inculpation, l’adultère, mais il a écopé de sept mois de prison pour faux et usage de faux, puis a été libéré le jour du rendu du jugement en appel, ayant déjà purgé sa peine en détention préventive.
Me Mohamed Husseini Qarrout, avocat au barreau de Rabat chargé de la défense de Hind Achati, a porté l’affaire devant la Cour de cassation. Cet avocat est intimement convaincu de l’innocence de sa cliente et compte aller jusqu’au bout. S’il affirme respecter le jugement rendu en première instance et en appel, il ne s’empêche pas toutefois de formuler des réserves sur la version des faits présentée par le plaignant.
La plainte de l’ex-époux «trompé» qui fait tout basculerTout commence un certain jour du mois de mars 2013, quand le diplomate koweïtien se présente à Hind Achabi pour la demander en mariage. Quoi de plus normal sachant que le prétendant et l'«élue de son cœur» partagent 17 ans d’amitié. Seulement, le mariage a été contracté dans un tribunal koweïtien, dans le département «jaâfari», et donc selon le rite chiite. «La procédure de signature de l’acte de mariage aura duré 2 petites heures en tout et pour tout», relève l’avocat de Hind Achabi, Me Mohamed Husseini Qarrout. La procédure de mariage selon le rite chiite (jaâfari) n’est pas aussi complexe que celle en vigueur au Maroc. Expéditive, elle l’est d’autant plus que les mariages peuvent être faits et défaits sans difficulté.
Mais passons, car le mariage de Hind Achabi et Sadiq M. n’aura duré qu’une année. Des malentendus surviennent dans la vie du couple, au point d'amener les mariés à se séparer. «Ils pouvaient rester amis mais pas époux», certifie Me Qarrout. En août 2014, Mme Achabi lance en effet une procédure de divorce par procuration. Quatre mois plus tard, le divorce est accepté par le mari, qui renvoie les papiers officialisant ce divorce par coursier à New York, où se trouvait Hind Achabi, qui a conservé ce document original dans le coffre-fort de sa résidence new-yorkaise.
C’est sur la base de ce document qu’elle a entrepris de refaire sa vie, loin de ses anciennes déceptions. En janvier 2015, elle épouse en secondes noces l’homme d’affaires Mohcine Karim-Bennani, connu dans les milieux d’affaires casablancais. En septembre 2015, ils donnent naissance à une fille et, en juillet 2016, à un deuxième enfant.
La descente aux enfersLe couple Achabi-Bennani n’avait rien à se reprocher. «Ils se sont mariés selon les règles et la tradition marocaines, en présence de leurs familles respectives», précise Me Qarrout. Ce dernier affirme que tout le monde était au courant de ce mariage. Une relation conjugale d’autant plus officielle qu’elle a donné naissance à deux enfants. Reste que l’ex-époux avait une autre opinion de la chose. C’est en juin 2016, –un an et demi après que Hind Achabi ait décidé de refaire sa vie–, qu’il s’est manifesté pour porter plainte contre sa «divorcée». Ironie du sort, c’était pour l’accuser d’«adultère»!, s’étonne Me Qarrout. Que dire alors des deux enfants qu’elle a eus avec son nouvel époux, Mohsine Karim-Bennani? Sont-ils des enfants «illégitimes»? Quel parent pourrait oser se lancer dans une telle aventure et compromettre l’avenir de ses enfants? Pourquoi le diplomate koweïtien a-t-il attendu presque un an et demi après sa séparation d’avec Hind Achabi pour venir contester un remariage et accuser son ex-femme d’adultère?
Une chose est sûre: après un test ADN, il a été établi que les deux enfants étaient bel et bien ceux de Hind Achabi et Mohsine Karim-Bennani.
Reste à confirmer que le divorce a été prononcé en bonne et due forme. L’accusée a alors demandé à se rendre à New York, pour ramener le document prouvant sa séparation d'avec Sadiq Marafi. Or, la malheureuse «divorcée» devait apprendre à cette occasion qu'il lui était interdit de sortir du territoire national. Même ses proches ne pouvaient s’y rendre, l’ex-conjoint leur ayant refusé tout accès à la résidence new-yorkaise où se trouvait le précieux document, sans doute conservé dans un coffre-fort!
Ce n’est pas tout. Le précieux document serait un faux remis par l’ambassadeur qui aurait, selon l’avocat de Achabi, noté le nom de sa cliente alors que le document du divorce est établi au nom d’une autre personne. L’avocat précise que l’ambassadeur a prononcé le divorce devant des témoins, dont la sœur de sa cliente. «Qu’il l’ait illusionné sur son divorce [est possible, mais] la bonne foi de ma cliente reste entière!», s’exclame-t-il.
L’acte de mariage, conclu entre Achabi et Bennani au Mali, pose également problème. Même si cet acte de mariage a été reconnu par le tribunal, il y est fait mention de la condition de célibataire de Hind Achabi, alors qu’elle devrait préciser qu’elle était divorcée. Cette erreur ou «imprécision», selon son avocat, est retenue comme une tentative de falsification d’un document.
Le problème de l’adultère demeure de miseLa version de l’avocat de Hind Achabi ne convaincra peut-être pas tout le monde et des zones d’ombre demeurent. Mais la question de fond, qui a interpellé Leila Slimani dans sa chronique, reste entière.
L’argumentaire de l’avocat vise à récuser toute relation, en dehors des liens du mariage, entre sa cliente et son compagnon. Mais indépendamment de la véracité de la version de l’avocat, est-ce que l’adultère nécessite une sanction aussi sévère? Et pourquoi, même dans un cas d’adultère établi, cette différence entre la peine de l’homme lavé de cette accusation et la femme condamnée à deux ans de prison ferme?
L’affaire a été portée devant la Cour de cassation. En attendant l'issue, Hind Achabi reste derrière les barreaux, séparée de ses deux enfants et de leur père.